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J’ai demandé à la lune

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J’ai demandé à la lune

La Coopérative-Musée Cérès Franco continue de faire voyager les visiteurs et de faire rêver les plus jeunes d’entre eux en rendant accessibles les différentes formes de l’art de manière ludique et spectaculaire. Objectif Lune

Exposition Les Croqueurs d’étoiles

86 artistes de la fabuleuse fondation Cérès Franco (qui compte plus de 1600 œuvres) sont sélectionnés durant l’exposition Les croqueurs d’étoiles autour du thème du voyage intergalactique et de la conquête de la lune. Cette période correspond aux années 1960 -1972, avec pour point d’orgue l’année 1972 et l’ouverture de l’Œil de bœuf à Paris, la galerie emblématique de la galeriste et collectionneuse Cérès Franco.

Le 20 juillet 1969, des centaines de millions de personnes assistaient en direct aux premiers pas de l’astronaute américain Neil Armstrong sur la Lune. C’est pendant cette même décennie, alors que se prépare cette future conquête, que Cérès Franco commence à tracer son parcours de commissaire d’exposition et de collectionneuse en jetant des ponts entre le continent américain et la France, en découvrant de jeunes artistes talentueux et en affirmant des choix esthétiques à l’encontre des modes de son époque.

C’est ce moment que la commissaire de l’exposition Françoise Monnin a voulu capter en confrontant les œuvres des artistes de la collection de Cérès Franco à celles de grandes figures de l’art brut, et en présentant une installation inédite et majeure de l’artiste André́ Robillard, avec son armée suspendue d’astronautes et ses soucoupes volantes au milieu de ces artistes qui ont tous, à leur manière, décroché́ la lune.

André Robillard

Voilà̀ cinquante ans en effet que le 20 juillet 1969, on marcha sur la Lune pour la première fois. « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité́» qui constitua une forme d’apothéose de la rationalité scientifique, et dont le fameux « se rendre maître et possesseur de la nature » trouvait là son point d’orgue d’un cartésianisme outrecuidant, celui d’un Occident en mal de nouvelles conquêtes politiques après les revers de la décolonisation, et qui voulait encore étendre son empire bien au-delà la totalité de la Terre et de sa nature qu’il avait déjà épuisé, en allant conquérir ce satellite qu’Homère s’était contenté d’unir à Zeus et d’accoucher de Pendée !

Heureusement une poignée de créateurs atypiques, « croqueurs d’étoiles », et outsiders trouvèrent dans cette conquête de la lune bien plus que le sérieux d’un calcul géopolitique ou celui d’un parangon de la rationalité scientifique. Ils puisèrent dans cet événement hors norme un vocabulaire plastique de formes inspiré de cette nouvelle mythologie du cosmonaute susceptible de nourrir une quête poétique d’un ailleurs imaginaire. Françoise Monnin la commssaire de l’exposition résume très bien ce voyage cosmique le point de vue ouvert par ces artistes :

« Les peintres et les sculpteurs présentés dans cette exposition subliment la silhouette des astronautes et de leurs équipements, la matière des paysages sidéraux, l’allure des extraterrestres ; et renouvellent la représentation des divinités supposées baguenauder outre terre»

Françoise Monnin commissaire de l’exposition

Agencements poético-machiniques

L’occasion de redécouvrir comment de nombreux artistes singuliers et créateurs d’art brut (abondamment présents ici) savent s’emparer de l’univers des sciences dans une polyphonie de références mélangeant les registres savants, techniques, religieux, ésotériques, etc. À l’instar de l’univers d’André Robillard, notamment, dont on peut voir ici un ensemble inédit et très spectaculaire de machines fabriquées, les créateurs exposés proposent une vaste fresque d’hétérotopies scientifiques et techniques à laquelle nous assistons émerveillés devant tant d’inventions aberrantes, déterritorialisant les langages scientifiques, et opérant des noces contre nature entre le sérieux rationnel et le bricolage poétique. Comment ne peut pas penser à la finition deleuzo-guattarienne du créateur !

« L’artiste est le maître des objets ; il intègre dans son art des objets cassés, brûlés, détraqués pour les rendre au régime des machines désirantes dont le détraquement fait partie du fonctionnement même ; il présente des machines paranoïaques, miraculantes, célibataires ».

André Robillard

Attentif à la nature, au ciel, et aux planètes, André Robillard garde le souvenir émerveillé d’une comète vue avec son père un soir d’enfance. Depuis lors, il ne cesse de guetter les spoutniks, ces « machins soviétiques », et autres satellites, et tente de les reproduire à sa manière. Toute son œuvre est traversée par cette vie cosmique, chargée des étoiles et des animaux qu’il branche à ses étranges machines.

L’œuvre machinique est en rapport essentiel avec les déchets et résidus. Elle capte elle-même les intensités ou énergies perdues comme dans le projet de Transformateur de Marcel Duchamp.

Autour de l’installation d’André Robillard conçue à partir d’une cinquantaine d’engins spatiaux que le créateur d’art brut a fabriqué́ sont réunis d’autres œuvres de la Collection de Cérès évoquant l’allure des cosmonautes, celles de John Christoforou et de Roy Adzak, par exemple ; et aussi, quelques autres trésors inédits. À l’image des satellites de Robillard, la plupart des oeuvres présentées dans cette somptueuse exposition témoigne d’une fascination exercée devant la puissance poétique de la technologie cosmonaute. Ces artistes ont su parfaitement développer la dimension « machinique » de leur œuvre. Et si on a souvent insisté, à juste titre, sur l’importance de la récupération dans le protocole créatif des outsiders, on a trop souvent ignoré cette dimension machinique de leurs productions. Seul compte cet agencement machinique des œuvres qui ne cesse de faire exploser les cadres étroits de l’existence, en relançant indéfiniment son dispositif créatif !

Car toutes ces œuvres ont la capacité de dynamiter les cadres scolaires dans lesquels on enferme trop souvent sciences et techniques, pour refabriquer d’autres mondes. Sublimes supports de rêve.

Une bonne récréation estivale, vibrante de couleurs et d’humour après une année trop studieuse !

http://newsarttoday.tv/expo/musee-ceres-franco/

MUSEE CERES FRANCO

http://www.collectionceresfranco.com

5, route d’Alzonne 11170 Montolieu

Renseignements :+ 33 4 68 76 12 54

info@collectionceresfranco.com


Fabuleux fabuliste

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Fabuleux fabuliste

Heureux celui ou celle qui pousse la porte de la Galerie Cyril Guernieri, au cœur de Saint-Germain des Prés. Heureux de se retrouver aussitôt entouré d’un bestiaire dont le métal n’altère en rien la part animale et vivante.

L’artiste italien Francesco Moretti y expose ses nouvelles sculptures en toute humilité mais avec le bonheur qui caractérise celui qui partage son bel ouvrage. Nos amies les bêtes sont ici mises à l’honneur et regroupées dans une chorale où chacune y va de sa partition. Le sculpteur excelle dans le travail du cuivre, de l’acier et du bronze en apportant à ces matières une sensibilité et quelques courbes élégamment amorcées. L’ensemble est à la fois épuré et d’une grande sobriété sans tomber pour autant dans le minimalisme. Force est de constater que ces animaux nous sont plus que familiers car ils dégagent une sympathie naturelle. Là résident le talent et le tour de force de celui qui maîtrise la matière et le savoir-faire.

Pièces de l’exposition Francesco Moretti à la galerie Guernieri crédit photo Galerie Cyril Guernieri

A l’instar de « l’Âne Culotte » si cher à Henri Bosco, celui de Francesco Moretti est aussi mystérieux que complice. Son regard juste marqué par deux fentes à peine perceptibles nous invite à le suivre, à nous attarder et à l’aimer. Oui, l’aimer car cette représentation animale porte en elle un humanisme confondant, une sensibilité que l’artiste ne cesse de nous dévoiler à travers ses œuvres. Le choix de ses matières de prédilection aurait pu nuire à cette expression où l’on sent poindre la sympathie. Il n’en est rien et cela nous réjouit. Il nous prouve que l’acier peut se révéler chaleureux.

Il en va de même du lièvre qui, toutes oreilles tendues, semble prêt à bondir et à s’amuser parmi tout cet aéropage animalier. Pourtant le sculpteur représente rarement l’animal dans son entier se contentant de s’attarder sur leur gueule. Ce parti pris est intelligent car il nous invite à compléter un imaginaire familier et allégorique. Le hibou demeure autant immobile que le chien dont le sympathique museau cherche une caresse.

Il n’y a ni effusion ni de vain exercice de style mais une simplicité faite de grâce qui touche le visiteur dès la première approche. Aucune trace de frappe ne marque ces sculptures. Les angles droits se confrontent à une sinuosité où la main de l’homme a imprimé un rapport intime avec la matière. Alors on se surprend à aimer le loup, à vouloir jouer avec le renard et à s’amuser avec le babouin. Ils sont tous là dotés d’une âme, sollicitant la nôtre pour faire communion avec notre esprit car même les animaux de la fable sont affables.

Un seul regret mais vraiment un seul et tout petit, mais où est la tortue ? Sans doute que Moretti la réserve pour une prochaine représentation de son Eden. Dans ce paradis terrestre que La Fontaine aurait aimé il règne une atmosphère de bienveillance et de plénitude qui habite l’ensemble des sculptures.

Pour clore l’exposition en apothéose, l’artiste présente également un buste mural à la fois aérien et d’une délicatesse romaine rappelant que sa patrie fut incontestablement la république des arts. Mais ici encore, point de classicisme car l’approche se veut contemporaine tout en rendant hommage à l’intemporalité d’une antiquité dont le génie perdure. Pour faire le pendant à cette dernière œuvre, une gravure d’un autre buste rappelle que Moretti excelle également dans ce médium. Heureux ceux et celles qui amoureux ou non des animaux de compagnie ou d’une nature retrouvée, réinventée par la main de l’homme, s’attacheront à l’une de ces créatures dont le message parle de lui-même et nous questionne. Les animaux n’ont-ils pas des choses à nous dire pour nous faire revenir à l’essentiel, à un monde plus serein, plus humain ? Et si c’étaient eux qui détenaient la clé de notre destin ?

A travers cette série de sculptures, Francesco Moretti nous renvoie à une philosophie de la vie bien différente de l’ambiant actuel, à un retour aux sources comme à une réflexion sur le règne animal. Il le fait avec autant de discrétion et d’humilité que son œuvre empreinte de sagesse.

Floréal Duran

FABULISTE

FRANCESCO MORETTI

Du 06 juin au 12 juillet 2019

GALERIE CYRIL GUERNIERI

29, rue Mazarine – 75006 Paris

Ouvert du mardi au samedi de 11h à 13 h et de 14 h à 19 h

https://galerieguernieri.com

Visual System atomise Bruxelles

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 Visual System atomise Bruxelles

C’est au cœur du premier atome de fer grossi 165 milliards de fois que le collectif Visual System nous donne son rendez-vous bruxellois à ne pas manquer jusqu’au 1er septembre.

Comme chacun sait à Bruxelles, « l’Atomium, insolite et inoubliable par son aspect, possède une qualité rare : celle de donner à tous de la bonne humeur et des rêves émerveillés », pour reprendre les mots de Dianne Hennebert, ancienne directrice du monument et qui fut à l’origine de sa rénovation. Et depuis 2006, l’audacieuse architecture n’est plus seulement un ovni dominant de ses 102 mètres de haut le plateau du Heysel, c’est aussi un espace d’exposition qui résonne désormais avec l’ADAM, rendant hommage à la créativité belge contemporaine. C’est le cas cette année avec les festivités organisées pour les soixante-ans du cristal de fer, au centre de l’Atomium de Bruxelles où le collectif Visual System participe d’un collectif d’architectes imposant, artistes designers et compositeurs sonores offrant au public une chorégraphie de lumière rétro-futuriste.

Teaser Visual System, A Circular Journey, Brussels

Pour découvrir ce totem populaire de toute la Belgique qui fut l’édifice phare de l’Exposition universelle de 1958, embarquant près de 42 millions de visiteurs venus du monde entier dans une utopie savamment programmée, et qui incarne encore aujourd’hui l’ambition d’associer l’humanisme au progrès technologique, nous prendrons comme guide la critique la mieux placée pour enchanter et élucider les noces de la sciences et de l’art, Véronique Godé :

« Face à l’architecture impérialiste du Palais des expositions conçu en 1934, la sculpture monumentale de l’Atomuim aux neuf atomes de fer tendus vers les étoiles fait figure de promesse : celle, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, d’un avenir radieux pour tous. L’Atomium est un symbole universel qu’il était peut-être temps de rallumer ! »

L’Atomium de Bruxelles, insolite et inoubliable par son aspect, possède une qualité rare : celle de donner à tous de la bonne humeur et des rêves émerveillés.

« Sur les neuf sphères qui constituent l’édifice conçu par l’ingénieur André Waterkeyn (1917-2005) et aménagé par les architectes André (1914-1988) et Jean Polak (1920-2012), trois sont techniques, une quatrième est réservée aux programmes pédagogiques pour le public scolaire, une cinquième à l’histoire du bâtiment, une sixième aux expositions temporaires ; la septième est privatisable pour des événements et la plus haute est un restaurant panoramique », explique, également, le directeur artistique des expositions, Arnaud Bozzini, également directeur du ADAM, musée bruxellois dédié au design, ouvert en 2015 à quelques dizaines de mètres de l’Atomium grâce au soutien d’un mécène – donateur d’une impressionnante collection d’objets et mobiliers en styrène, moulés lors des Trente Glorieuses, complétée plus tard par d’autres créations à base de plastiques recyclés.

Et c’est donc au cœur de ce premier atome de fer grossi 165 milliardsde fois que le collectif Visual System nous donne rendez-vous pour A Circular journey (Un voyage circulaire), une immersion sensorielle : tout juste hissée en haut de l’escalier qui sépare les deux étages du premier bâtiment rond, une musique électronique optimiste et binaire enclenche une chorégraphie de leds, tel un jeu d’électrons en orbite, sous la forme de frises tout en dégradés de rouge oranger, de blanc crémeux ou de bleu.

Au plafond, d’autres serpentins de lumière cintrent la structure métallique de la voûte, à laquelle s’accroche une énorme boule rétroéclairée de couleurs variables. La voix féminine samplée déclame la symbolique de l’homme poussière d’étoile, perdue dans l’univers ; bientôt résonne un mantra : « A dot is all ! ». La magie de cette pétillante mise en scène vous fait l’effet d’un enlèvement, elle vous embarque au pays des amis d’E.T. dans un temps dont on ne sait trop s’il se situe dans le passé ou l’avenir.

Visual System, A Circular Journey, Teaser, Brussels

Et c’est là, sans doute, que réside toute la force de la proposition : Visual System n’a pas cherché à reprogrammer l’Atomium dans le futur par un ostentatoire dispositif ultra technique, mais plutôt à placer l’homme en son centre, dans une installation joyeuse à la fois mystérieuse, onirique et festive.

« Ce n’est pas la première fois que nous faisons appel au collectif Visual System pour une proposition d’art numérique, reprend le directeur des lieux. Leur scénographie met également en lumière plusieurs expositions telles qu’une série d’affiches au ADAM et toute une présentation de l’identité visuelle et des slogans issus de la foire universelle, complétée par de nombreux clichés de 1958 rassemblés auprès des Bruxellois*. Ce que nous aimons chez eux, c’est leur capacité de réflexion et le dialogue qu’ils instaurent avec l’architecture, qui n’est pas facile ici ! »

Le collectif français, fondé en 2007, se compose de quatre membres et piliers originaires de Bourgogne, des Alpes et de Bretagne, installés à Paris et à Hong Kong : Valère Terrier vient du cinéma, Ambroise Mouline est designer, Pierre Gufflet est programmeur et Julien Guinard est l’architecte de la mission. Six tonnes de matériel informatique ont été réparties dans l’espace de façon quasi invisible pour donner aux 500 000 visiteurs attendus au cours d’une année l’illusion d’un embarquement immédiat pour un voyage phototropique dans l’espace-temps.

« On repousse ici les limites de ce que l’on peut faire avec la lumière, poursuit Ambroise Mouline, directeur artistique à l’origine des frises synchronisées et qui a travaillé avec des ingénieurs de l’Ircam pour régler cette interaction parfaite du son et de la lumière. Ne serait-ce que pour installer la boule suspendue au centre de l’atome de fer. C’est la led qui nous procure une telle stabilité quant au composant électronique. Un tel projet n’aurait pas été possible il y a cinq ans. »

Visual System, A Circular Journey, Atomuim de Bruxelles

Le projet a représenté huit mois de travail. Vingt-et-une personnes s’y sont investies à différents postes, dont 12 sur place durant les trois semaines de montage qui furent nécessaires afin d’illuminer plus de 70 000 leds vidéos, réparties le long de 1,8 km de rubans, à la surface d’une sphère de 18 mètres de diamètre ou encore sur un escalator de 30 mètres de long. Le tout en utilisant la led tel un vecteur de couleurs piloté par le son dans la géométrie de l’espace. Ou comment composer, au cœur de l’Atomium, une œuvre cinétique monumentale injectée de matière sensible. Cette recherche de fusion entre architecture, musique et lumière signe l’ADN du collectif Visual System, dont le noyau dur travaille actuellement sur le projet Polygon, une scène immersive à 360° implantée au milieu de la jungle thaïlandaise.

Depuis l’Antiquité, les hommes ont levé la tête vers l’immensité des étoiles, pour tâcher de comprendre ce qu’elles disaient du monde. Au tournant du XXe siècle, c’est en se penchant vers l’infiniment petit que leur furent révélés les mystères et les secrets de l’atome. A l’aube du troisième millénaire, on découvre que tout, absolument tout ce qui constitue l’univers tel que nous le connaissons vient du cœur brûlant des étoiles, dont le fer est l’élément le plus abondant. C’est en partant de ce postulat que l’auteur de science-fiction Stéphane Beauverger, par ailleurs scénariste de jeux vidéo à succès, s’est attelé au texte du poème, tandis que le compositeur sonore Thomas Vaquié, qui compte de belles collaborations avec le label Antivj et est sound designer pour des projets futuristes, tels que Songdo City en Corée du Sud ou Hala Stulecia (un dôme de 70 mètres de diamètre situé en Pologne), a entrepris d’écrire la musique. Ultime vestige de l’incarnation d’un rêve apparu dans l’euphorie des années d’après-guerre, l’Atomium est une véritable œuvre d’art et d’ingénierie dont Visual System a su, aux frontières de la création graphique et sonore, de l’art et du design, intégrer la magie et sonder l’esprit.

Véronique Godé

A Circular Journey, jusqu’au 1er septembre à l’Atomium, Sphère des expositions temporaires (niveaux 3 et 4), à Bruxelles en Belgique.

Le site de Visual System : https://visualsystem.org

Site de l’atomium à Bruxelles

L’art invisuel, qu’est-ce que c’est ?

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L’art invisuel, qu’est-ce que c’est ?

Artiste et capteur d’institutions, Alexandre Gurita défend un art invisuel qui dépasse l’œuvre d’art et sa matérialité. En 2000, il s’empare de la Biennale de Paris, créée par Malraux, pour en faire une anti-biennale sans expositions, et en perpétuel renouvellement. Aujourd’hui, la Biennale de Paris célèbre ses soixante ans d’histoires hybrides.

Par Éric Monsinjon

« Traverser la mer sans que le ciel le sache », cette citation, extraite du traité chinois des 36 stratagèmes, enseigne comment frapper un adversaire sans éveiller son attention. L’artiste Alexandre Gurita qui est un admirateur de ce texte de l’époque Ming l’applique volontiers au secteur de l’art. L’adversaire ici désigné, c’est l’art contemporain spectaculaire et marchand exposé dans les grandes manifestations internationales, comme la Biennale de Venise qui se déroule actuellement. A l’opposé de cette conception, Alexandre Gurita défend un art invisuel qui « invente un art affranchi de l’œuvre d’art, car, selon lui, les limites de l’art sont plus larges que l’œuvre d’art ». Son œil, toujours en alerte, guette les failles d’un système, quel qu’il soit, pour le hacker secrètement. La carrière artistique d’Alexandre Gurita commence par un morceau de bravoure qui a beaucoup contribué à sa renommée : la « captation institutionnelle » de la Biennale de Paris, devenue sous sa direction une sorte d’anti-biennale. Alexandre Gurita est un stratège.

PORTRAIT DE L’ARTISTE INVISUEL

Né le 27 septembre 1969 à Brasov en Roumanie dans une famille ouvrière, d’un père électricien et d’une mère travaillant dans le textile, le jeune Alexandre Gurita vit une enfance paisible avec son frère et sa sœur. Sans doute, sa passion pour l’art lui vient de son oncle restaurateur de tableaux et également artiste peintre. Le 17 novembre 1987, il assiste à un soulèvement ouvrier violemment écrasé par l’armée de Ceausescu. Pour la première fois, il pense quitter la Roumanie et se construit un voilier de six mètres de long pour s’enfuir par la mer. Le départ n’aura pas lieu. Il commence alors des études aux Beaux-Arts de Bucarest avec la volonté d’égaler Rodin et Bourdelle. L’année de ses vingt ans voit la chute de Ceausescu. L’espoir revient. Son travail de sculpteur est reconnu, la télévision roumaine l’interview, il fréquente le nouveau Premier ministre Petre Roman. Ses relations l’aident à obtenir un visa pour la France. Le 13 août 1992, il arrive à Paris après avoir traversé l’Europe à pieds, avec l’ambition d’entrer à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts (ENSBA). Là-bas, il y perd ses dernières illusions : une conception de l’art profondément académique. Sa longue fréquentation de l’histoire de l’art lui fait traverser les avant-gardes du XXe siècle – constructivisme russe, Dada, Bauhaus -, il se passionne pour les figures de Malévitch, Duchamp, Brancusi, découvre les mouvements artistiques des années 1960, comme l’Internationale Situationniste et l’art conceptuel. Sa conception de la création devient plus réflexive, « L’art, c’est la modification de l’idée de l’art », déclare-t-il.

En 1997, Alexandre Gurita abandonne la production de sculptures et d’installations alors qu’il est toujours étudiant aux Beaux-Arts. Il jette alors les bases de ce qu’il nommera, en 2004, « l’art invisuel ». Il le définit comme « un nouveau genre d’art qui se concrétise autrement qu’en une œuvre d’art. Il offre ainsi aux artistes de multiples possibilités de travail et d’ouvertures ». Il propose à la direction de l’ENSBA d’ouvrir un département dédié à cette nouvelle pratique ; une demande qui lui sera refusée. Tout se passe comme si le style Gurita prenait déjà la forme d’un défi lancé à l’institution. En 1999, il souhaite aller plus loin en présentant en guise de projet de diplôme son propre mariage, auquel il convie des centaines de personnes. L’ENSBA apprécie peu cette curieuse soutenance, mais il obtient néanmoins son diplôme, et par son mariage la nationalité française. Désormais, sa pratique invisuelle est inséparable d’une critique de l’institution.

La Biennale de Paris, un contexte qui permet l’émergence de l’intelligence dans le secteur de l’art.

UNE BIENNALE SANS EXPOSITIONS

« Profiter des vides, qui appellent des pleins, dans le système des forces de l’autre », un principe encore extrait des 36 stratagèmes qui va une nouvelle fois l’inspirer. En 1999, Alexandre Gurita s’intéresse de près à la Biennale de Paris et se renseigne sur cette institution oubliée. Il découvre son histoire : la Biennale a été créée en 1959 par André Malraux, alors Ministre de la Culture, pour proposer « un lieu de rencontres et d’expérimentation des nouvelles modalités d’un art du futur ». Au fil des éditions, de 1959 à 1985, la manifestation devient un rendez-vous incontournable de l’art assurant une continuité entre les grandes figures de l’art moderne, de Pablo Picasso à Paul Klee, et les artistes de la scène contemporaine, Isou, Beuys, Calle, Buren, Export, Kapoor, et bien d’autres. Mais l’institution enregistre un déficit de dix millions d’euros qui force le Ministère de la Culture à la liquider. Le nom « Biennale de Paris » tombe dans le domaine public en 1985.

Quelques années plus tard, en 2000, Alexandre Gurita décide de « frapper à l’endroit où le système est faible, peu intelligent, voire inexistant » et s’empare de l’institution au nez et à la barbe du Ministère de la Culture. Il appelle cela une « captation institutionnelle », autrement dit, il s’approprie une institution d’Etat qu’il donne à voir comme un geste artistique invisuel. Le célèbre agent d’art Ghislain Mollet-Viéville le soutient activement. Cependant la renaissance clandestine de la Biennale de Paris n’est pas très bien perçue par le Ministère de la Culture et les autres institutions. La sidération cède la place à la polémique. Alexandre Gurita apparaît comme un directeur hors-la-loi à la tête d’une institution volée à l’Etat. On lui reproche d’utiliser l’institution contre l’institution. Sa stratégie est la suivante : ne pas critiquer l’institution de l’extérieur, mais s’en emparer pour la transformer, de l’intérieur, en institution critique.

Alexandre Gurita réactive la Biennale de Paris en 2002 et sape toutes les règles pour en faire la première biennale au monde, sans œuvres, sans expositions, sans curators et sans spectateurs. La manifestation devient le terrain de jeu de l’art invisuel ; les éditions suivantes se succèdent mais ne se ressemblent pas. La première édition invite une trentaine d’artistes venant d’une quinzaine de pays qui investit, durant trois semaines, différents lieux alternatifs à Paris. L’édition suivante, en 2004, bouleverse l’espace-temps de la manifestation : d’abord, elle a lieu à Paris et simultanément dans plusieurs pays du monde ; ensuite, la durée de l’événement est portée à deux ans. En plus d’avoir lieu tous les deux ans, chaque biennale dure dorénavant deux ans. Une manifestation terminée annonce la suivante, et ainsi de suite.

Qu’est-ce que la Biennale de Paris au Luxembourg ?

DÉLOCALISATION

En 2008, Alexandre Gurita s’octroie une liberté supplémentaire, celle de pouvoir « délocaliser » la Biennale de Paris à l’étranger. Celle-ci devient nomade. Le rapport s’inverse, ce n’est plus l’artiste qui vient à la Biennale, c’est la Biennale qui vient à l’artiste. Partant du principe qu’un artiste développe une pratique en relation avec un territoire, la Biennale de Paris se déterritorialise pour se reterritorialiser à l’endroit du contexte social et politique choisi par l’artiste. En s’adaptant aux nouvelles pratiques des artistes et non l’inverse, les rapports entre l’institution et l’art se trouvent réinventés. La Biennale n’a pas de territoire défini, elle accroît son territoire par déterritorialisation. La délocalisation devient un mode opératoire majeur pour toutes les éditions suivantes. C’est ainsi qu’après Nicosie, New York, Beyrouth, la Biennale s’installe, pour son soixantième anniversaire, au Luxembourg.

État des souffles du 24 avril 2019 à 16h24. Crédits : Biennale de Paris 2019

L’artiste Gary Bigot propose depuis le Luxembourg « un air créatif qui souffle à travers le monde ». Par le biais d’une application mobile téléchargeable sur le site de la Biennale, il est possible d’enregistrer son souffle et, ensuite, de le géolocaliser sur une mappemonde avec ceux des autres participants sur la planète. Délocalisation de Paris au Luxembourg et géolocalisation des souffles à travers le monde, de quoi se perdre dans cet art du déplacement. Citons deux autres projets notables de cette XXIe édition : l’artiste Ludovic de Vita vient de fonder IRISA, un institut de recherche de nouvelle génération pour développer la singularité des individus dans le domaine de l’art et de l’innovation; Baptiste Pays lance une agence pour l’emploi, un peu spéciale, qui propose des infrapostes à des artistes pour leur ouvrir les portes de l’entreprise.

RHIZOME

Bien évidemment, l’art invisuel a ses prédécesseurs. Marcel Duchamp se demandait déjà s’il était possible de réaliser des œuvres qui ne soient pas d’art. Les artistes des années 1960, d’Yves Klein à Joseph Kosuth, en passant par les membres de l’International Situationniste, faisaient le diagnostic que le monde était saturé d’objets et qu’il ne fallait pas en ajouter de nouveaux. Par rapport à l’art contemporain, l’art invisuel doit souvent justifier sa différence avec l’esthétique relationnelle théorisée par Nicolas Bourriaud ; dire en quoi, l’art invisuel n’est pas uniquement basé sur la relation interhumaine. La contribution la plus importante d’Alexandre Gurita à l’art réside dans sa capacité à capter, à détourner, au point de retourner une institution contre elle-même.

Pour cela, il déploie un rhizome d’institutions et d’entités multiples autour de la Biennale, encourage même la création d’institutions parallèles pour créer des nouvelles expériences : pour réinventer un enseignement libéré des conventions héritées de l’histoire de l’art, il fonde l’école ENDA ; pour trouver un nouveau modèle économique pour les artistes invisuels, il élabore une cryptomonnaie ; pour définir les nouvelles formes d’art, il met en place une recherche sur la terminologie. Chez Alexandre Gurita, la stratégie devient un mode de résistance au formatage social, aussi bien qu’une nouvelle forme d’art à part entière. Il soutient qu’il faut « savoir rester inventif dans un contexte qui nous contrôle ».

Dans ce grand rhizome, Alexandre Gurita n’agit pas en tant qu’artiste solitaire, mais sous couvert de la Biennale de Paris, que ce soit pour son propre compte, ou celui d’autres artistes. L’effacement de sa personne derrière cette institution à têtes multiples participe d’une volonté de faire disparaître la notion d’auteur original. Sa critique semble aller jusqu’à une remise en cause de l’artiste lui-même. A l’instar du philosophe Michel Foucault, qui dans Les Mots et les Choses, prophétisait la mort de l’Homme « comme à la limite de la mer un visage de sable », Alexandre Gurita anticipe la disparition de l’artiste comme une possibilité. L’art invisuel est Méduse.

Eric MONSINJON

La Biennale de Paris, XXIe édition, jusqu’au 30 septembre 2020.

Programmation de la Biennale :

Le site officiel de la Biennale de Paris :

https://biennaledeparis.org

La Biennale de Paris délocalisée au Luxembourg :

https://biennaledeparis.org/Luxembourg

Histoires d’eaux

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Histoires d’eaux

La rencontre inédite entre le photographe américain Joey Tranchira et les eaux méditerranéennes des canaux de Sète nous offre une série de photographies les plus psychédéliques aux effets hypnotiques remarquables.

Par Floréal Duran

Qui ne s’est jamais assis au bord d’une rivière, d’un rivage pour fixer l’eau, ses mouvements, ses miroitements et ses multiples reflets ? Qui ne s’est laissé emporter par des rêveries bercées par le courant ou le ressac ? Les artistes comme le plus communs des mortels n’échappent pas à cette fascination pour les éléments mais ils en tirent souvent l’inspiration, le mouvement, l’idée même d’œuvres qui ont jalonné l’histoire de l’art. L’œil du photographe s’est souvent fixé sur des eaux diverses, tumultueuses ou nimbées de brumes matinales, sur des baignades aussi joyeuses qu’éclaboussantes, sur des trafics portuaires imposants. Si certains se sont attardés sur des jeux de miroirs ou autres phénomènes lumineux, peu ont songé à sonder les différentes figures et formes éphémères, fugaces que peuvent livrer mers et océans. La rencontre inédite entre le photographe américain Joey Tranchira et les eaux méditerranéennes des canaux de Sète, dans le sud de la France, était certes le fruit du hasard mais a donné lieu à un projet qui s’étend sur une décennie, entre 2009 et 2019.

Autoportrait à Sète – 2019 – crédits Joey Tranchina

Auparavant ce photographe engagé s’était fait connaître par des noirs et blancs où il mettait à bas l’Américan Way of Life et une Amérique des paradoxes. La rue, l’urbain devient pour lui une grande scène où il se passe toujours quelque chose de surprenant et parfois violent. Il passe Los Angeles, San Francisco, Mexico au crible dans les années 60 puis New-York dans les années 70 et devient également le portraitiste de nombreux intellectuels et écrivains de sa génération. Il ne voudra jamais montrer son travail jusqu’à ce sa famille n’exhume tous ces « trésors » qui témoignent sans complaisance ni affèteries de son Amérique.

En 2018 parait aux USA un livre rétrospective de toutes ces périodes Leica faisant de lui un artiste emblématique. Il recevra entre autres distinctions le prestigieux prix du festival de Palm Spring. L’homme qui se veut humble, loin des mondanités est aujourd’hui entré dans de grandes galeries et des musées qui ont acquis ses œuvres.

BLACK AND WHITE ON THE BEACH SHADOWS

De New-York à Sète il n’y avait pas qu’un pas mais un océan qui séparait deux modes de vie, deux visions du monde. Lorsque je lui ai posé la question sur ce choix de ville il m’a répondu avec effusion « avez-vous passé un hiver à New-York ? Faites-le et vous comprendrez. Je déteste le froid » C’est lors d’un périple touristique qu’il découvre la ville de Brassens et de Paul Valéry. Il cèdera au charme de ce port méditerranéen, de sa lumière, de sa douceur de vivre pour y passer sa retraite.

Dans ce quotidien routinier dont les allers-retours entre la maison et le supermarché ponctuent les heures, JOEY ne se lasse pas de longer les canaux de Sète. Il aime voir le ciel dans l’eau mais à force d’observer avec attention il finit par déceler une autre vie plus secrète à la fois statique et ondoyante. Intrigué, l’artiste finira par toujours avoir un appareil photo à portée de main. Sa passion reprend le dessus et le rituel des courses devient dès lors une chasse à l’image fugace, unique où les ombres et la lumière jouent et improvisent des jeux qu’il souhaite immortaliser. A ces parties où l’homme doit être capable d’appuyer sur le déclic à un moment précis, il lui aura fallu dix ans pour constituer une série d’images aussi étranges qu’envoutantes.

The Hobgoblin of Improvisation — 2016 (150 x 100) – crédits Joey Tranchina

Chasing Hallucinations est une suite de variations aquatiques dont les formes et les couleurs se jouent du rationnel. On n’est plus du tout dans le photojournalisme qui a fait la renommée de Joey Tranchina mais dans un univers qui oscille entre photographie et peinture sans que cette dernière ne soit présente en tant que telle dans cette exposition. Ce sont donc d’hallucinantes hallucinations que nous livre l’artiste. Des méandres, des oscillations, des courbes, des illusions d’optiques qui permettent de déceler des personnages improbables, erratiques, parfois même fantomatiques. Au croisement des teintes et à la superposition des couleurs qui animent ces eaux on en arrive à approcher des œuvres maîtresses de l’histoire de l’art comme si la nature s’était inspirée de Dali, Pollock, Miro et même d’impressionnistes. Ce mélange des genres entre abstraction et semi-figuratif ne nuit en rien à cette présentation, bien au contraire car il lui apporte une cohérence de l’irrationnel.

Megan’s Demons — 2016 (150 x 99) – crédits Joey Tranchina

A travers ces cartographies imaginaires, l’artiste nous emmène dans des contrées paradisiaques, impalpables où seule l’eau est maîtresse de cette géographie. Aucun élément rappelant l’intervention humaine n’est visible dans ces photographies. Alors on revient sans cesse sur une photographie pour découvrir un détail qui nous a échappé au premier abord. On y découvre une autre forme humaine et même une vache, oui une vache aux couleurs peu communes. Les photographies les plus psychédéliques et aux effets hypnotiques pourraient presque être regardées en écoutant Pink Floyd, d’autres ont le groove d’un air de jazz ou la douceur d’une bossa nova d’Ipanema. Ces images ont quelque peu des qualités musicales tant elles reflètent le mouvement des eaux sétoises, l’esprit d’un sud réinventé, rêvé.

Pour sa troisième exposition, La Galerie des Photographes, propose là un événement hors des sentiers battus et de toutes normes. C’est un pari osé mais réussi car il défie les limites qui pourraient s’imposer à un art pour nous emmener vers d’autres rivages. Ceux de Sète, assurément mais surtout ceux d’un artiste surprenant à plus d’un titre. Joey Tranchina joue encore une fois les francs-tireurs, les trouble-fêtes mais cette fois le message se veut davantage un plaidoyer pour une esthétique écologique, une invitation au voyage dans les profondeurs de ces canaux. Si les images ne montrent que la surface des eaux elles laissent notre imaginaire plonger dans la part d’invisible dans cette traversée du miroir qui hante notre subconscient.

JOEY TRANCHINA - The Queen of Hearts

« Calme d’un port à l’abandon. Sous l’eau

Chaque pierre assoupie, clarifiée.

Mur du port maçonnerie du silence.

Plénitude. Miroitement. Atlantique houleuse.

Amarrages à peine remués, imperceptible

Clapotement de la houle sur le ponton.

Vision parachevée : minarets des praires

Consignées parmi les tessons huilés de vert,

Débris de coquillages, bourgeons de grès rouge.

L’air et l’océan compris comme antécédents

L’un de l’autre. En apposition

À l’omniprésence, à l’équilibre, au bord. »

Seamus heaney, La Lucarne, Gallimard

CHASING HALLUCINATIONS

JOEY TRANCHINA

Du 04 juillet au 11 août 2019

La galerie des photographes – 29, rue Keller – 75011 Paris

Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 19 h

La Rochelle à l’heure d’Ophélie

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La Rochelle à l’heure d’Ophélie

La galerie La manufacture de La Rochelle donne le coup d’envoi ce week-end d’une série d’expositions librement inspirée du thème d’Ophélie. Avec en ouverture une fresque imposante de la star de la peinture japonaise Aki Kuroda et une installation « trans-chamanique » de l’artiste Béatrice Bissara.

Ce ne sont pas moins d’une dizaine d’artistes embarqués pour deux mois durant, sous la houlette du metteur en scène Antoine Campo et de la galeriste Axelle Gaussen, avec des personnalités exceptionnelles ou inclassables du monde l’art (Aki Kuroda, Catherine Wilkening…), mais également des créateurs moins connus, dont le travail exigeant mérite tout autant le détour. C’est le cas, notamment, de l’artiste Béatrice Bissara qui ouvrira l’événement avec une somptueuse installation « trans-chamanique » en contrepoint d’une fresque conçue par le peintre japonais Aki Kuroda.

L’art trans-chamanique de Béatrice Bissara

Béatrice Bissara incarne pleinement une certaine figure de l’artiste moderne, nouvel Hermès, qui se rapproche des personnalités gnostiques ou théosophiques inaugurées à l’aube du 20ème siècle par des peintres comme Malevitch ou Mondrian. En allant chercher, notamment, dans les expériences de sorties de corps(OBE), son body-art à elle, l’artiste parisienne renouvelle une quête essentielle de notre modernité, et redevient disciple de Dionysos en cherchant à travers la décréation et le désordre bacchique, une révélation extatique suprême. Son Graal, Béatrice Bissara l’a trouvé dans le « Out-of-bodyexperience » au cours duquel le sujet a l’impression que son « soi », ou le centre de sa conscience, émigre à l’extérieur de soncorpsphysique. Elle confie avoir fait de nombreuses OBE durant lesquelles la sensation de flotter, de voyager vers des lieux lointains et d’observer son propre corps de l’extérieur furent des expériences déterminantes dans le tropisme esthétique pris par sa carrière artistique et sa fascination pour l’art cinétique, après avoir été une remarquable sculptrice à l’académisme assumé.

On the road again ?

Avec son concept de « ConnectedDreambox» Béatrice Bisarra proposait, déjà, une série de pièces particulièrement abouties, sous la forme de « boite magique » dans laquelle tout un imaginaire peut se construire au gré des rotations de motifs colorés s’enroulant devant les yeux du spectateur. Cette installation traversée d’un mouvement répétitif et hypnotique n’était pas sans rappeler la mythique Dreamachine de Brion Gysin élaborée dans l’élan de l’art psychédélique des années 60, et associée à l’imaginaire des drogues aussi tenace qu’aliénant. Il y a, d’ailleurs, chez Béatrice Bissara le même désir de renouer avec une fonction « magique » de l’art, capable de chasser nos « démons » actuels (consumérisme ou communautarisme), et de nous reconnecter à un background sensori-spirituel de l’humanité que l’artiste nomme « le patrimoine commun de l’humanité ». Féru de mythologies et de spiritualités exotiques, Béatrice Bissara a su extraire de certaines cultures des invariants qu’elle intègre habilement au sein de ses« Connected Dreambox ».

« Cet ensemble de formes issues de la nature, de géométries ou de symboles archétypaux rayonnent d’une énergie particulière et sont susceptibles de modifier la portée de la conscience humaine. »

Avec ECOPHELIA, l’installation de Béatrice Bissara réalisée en binôme avec Antoine Campo s’inscrit pleinement dans le regain actuel de l’art trans-chamanique. Elle renvoie même au magasin des curiosités de l’histoire de l’art le bricolage de la Dreamachine de Brion Gysin exposée à Paris en 1962, avec laquelle la parenté est évidente. Cette dernière conservée dans la collection d’art moderne du Centre Pompidou est constituée d’un simple cylindre de papier fort, ajouré de motifs réguliers, au centre duquel se trouve une ampoule allumée, et tourne sur la platine d’un électrophone à une vitesse de 78 tours par minute ! La finalité est déjà quasi identique à celle recherchée par Bissara. Il s’agit d’entraîner par la rotation du dispositif de l’œuvre un phénomène stroboscopique ( flicker ), à même de provoquer des hallucinations visuelles, et des images mentales qui nous reconnectent à une puissance matricielle inaccessible à la perception ordinaire.

Béatrice Bissara, « Connected Dream Box, Carpe Diem pour l’éternité » Dispositif visuel et lumineux, technique mixte, 2017

Un art psychédélique version vegan ?

Mais là où Brion Gysin associait sa découverte à l’expérimentation des drogues et des subjectivités marginales, inscrivant sa pratique dans celle de la « beat generation » avec sa quête incessante d’ouverture aux spiritualités non-occidentales, Béatrice Bissara nous offre une version beaucoup plus soft de ce geste artistique. Nulle référence chez l’artiste française dans sa volonté de repousser « les portes de la perception » à un quelconque usage de psychotropes pour faire « le plein » sur la route de l’ouverture de la conscience. Ici pas de trip, de LSD ou de Kif ! De la connexion mais sans transgression…Nous sommes loin de la révolution psychédélique avec ses extases et ses transes, mais également avec son cortège de morts prématurés, Ex-fan des sixties.

Exit une certaine mythologie underground associée à ces voyages en pays sorciers, ces « connaissances par les gouffres », ces « Infinis Turbulents » au profit d’une pratique transversale de l’art, que Nicolas Bourriaud a thématisée sous la notion d’esthétique relationnelle. L’installation de Béatrice Bissara semble, de ce point de vue, emblématique d’une certaine nostalgie contemporaine pour cette période, mais expurgée de sa fange trouble et toxique. Elle n’attend nullement de son public qu’il se livre à une quelconque défonce suspecte, mais plutôt qu’il s’enfonce confortablement dans une expérimentation soft ; version vegan de la nutrition esthétique…

Dreamachine de Brion Gysin avec l’artiste en compagnie de son ami William Buroughs, 1962, Paris.

Ainsi les installations de Béatrice Bissara proposent au spectateur d’être placé dans un environnement immersif, au sein duquel le dispositif lumineux ou sonore de l’œuvre induit chez lui une expérience contrastant avec les sollicitations aliénantes de la vie quotidienne. Peu de risque de Bad Trip ici ! La détente susceptible d’être procurée par les visions à l’utilisateur, lorsque celui-ci regarde la « ConnectedDreambox» n’a rien d’une « descente » risquée…L’artiste parle d’ailleurs « d’écologie de la conscience » plutôt que de défonce machinique !

Le caractère cinétique des dernières pièces de Béatrice Bissara, opère de ce point de vue, un savant mélange de légèreté et de gravité. L’artiste parvient à réconcilier dans une synthèse singulière les deux pôles apparemment antagonistes de son œuvre : la dimension apollinienne des débuts avec sa fascination pour la perfection harmonique des corps, et une conscience aiguë du caractère mouvant et dionysiaque de la vie intérieure. En conjuguant habilement ces deux dimensions la sculptrice permet à ses œuvres de jouer pleinement de la transparence, la légèreté et la réflexion de la lumière tandis qu’elles conservent avec la géométrie, la répétition et l’utilisation des lois optiques le témoignage d’un monde à la fois basé sur des lois mathématiques et en perpétuel mouvement.

Cet art « expérientiel » est à rapprocher de celui d’autres artistes contemporains ou modernes, à l’instar du travail de Susanna Fritscher et ses installations (Flüglel, Klingen à la Biennale de Lyon de 2017), ou des danses serpentines de Loïe Fuller. En recréant un rituel de la danse du Samâ avec ses variations et ses rythmes successifs, Béatrice Bissara impose un mouvement hypnotique dans « Ecologie de la Conscience »- installation de 20 minutes- qui n’est sans évoquer la pionnière américaine de la danse moderne. Avec cette dernière œuvre Béatrice Bissara diversifie encore sa pratique artistique en s’emparant de nouveaux médium vidéo, installation, performance, danse pour mieux répondre à toute l’étendue de son questionnement esthétique.

La proximité fusionnante du senti et du sentant

À propos de son installation l’artiste déclare :

« Cette installation interactive place le spectateur dans un environnement immersif et poétique où mouvements, sons, odeurs et lumières dialoguent dans un dispositif visuel et sonore synchrone, et induit des états modifiés de perception, une synesthésie des sens, et une perte des repères spatio-temporels.»

Pour le coup, cette multisensorialité des œuvres de Béatrice Bissara participe pleinement de cette déconstruction du système des beaux-arts qui cloisonnait les expressions, les perceptions et les sensations.

Machines célibataires

En concentrant des composantes sémiotiques multiples (sons, couleurs, lignes, lumières, odeurs) distribuées habituellement au hasard des médiums, Béatrice Bissara réussit le tour de force de condenser dans l’espace réduit de ses installations, une œuvre organique susceptible de toucher tout le système nerveux dans une proximité fusionnante du senti et du sentant, bien au-delà de la ségrégation des sens. Ces « machines célibataires » sont alors parcourues par la vie, avec sa respiration et ses rythmes, ses pulsations et ses ritournelles, alternant ombre et lumière, tension et expansion, naissance et évanescence, lenteur et vitesse…Véritables corps sans organe connectés au pouls de l’univers - hors de nous et en nous - les ConnectedDreambox de Béatrice Bissara semblent accordés à un rituel invisible et magique. Nous sommes tout autant emportés par la danse des Derviches que reconnectés au rythme d’un cœur qui bat la mesure du temps. Notre temps ! Sans le détour des drogues et de leurs paradis artificiels…

Écologie de l’esprit

De fait, les cercles concentriques en perpétuelle rotations confèrent aux « ConnectedDreambox» un caractère hypnotique, et reprennent un motif déjà utilisé par de nombreuses civilisations. Qu’ils soient incas, égyptiens, Romains, Indiens, Aborigènes, Amérindiens, ou Africains, tous ces peuples témoignent d’un recours fréquent de ces formes lors de leurs rituels. En sachant que ces motifs à l’image du monde céleste qu’ils symbolisent n’ont pas seulement une fonction représentative ou sacrée, mais sont en lien avec des dispositifs aux implications médicales ; on peut alors véritablement parler d’un art trans-chamanique. Par suite, Béatrice Bissara vise à retrouver le potentiel curatif de ces pratiques longtemps refoulées par notre rationalité occidentale, en les insérant au cœur de la conception de ses « ConnectedDreambox». Ainsi en revisitant à partir d’un vocabulaire plastique contemporain, le noyau dur de ces symboles et figures empruntés aux pratiques magiques de l’art, Béatrice Bissara renoue avec la puissance littérale de l’art, bien au-delà de ses seules qualités expressives ou formelles. Le pouvoir des cercles concentriques en mouvements, capables de modifier l’étendue et l’acuité de notre conscience, est censé permettre au spectateur d’accéder à une compréhension plus subtile de la réalité au-delà du visible.

En réhabilitant toutes ces formes, l’artiste les revisite, et leur apporte une part de rituel contemporain, très éloigné du consumérisme qui accompagne l’obsolescence programmée des objets de notre quotidien. Ainsi ECOPHELIA, l’installation de Béatrice Bissara que les spectateurs auront la chance de découvrir à La Rochelle renouvelle de manière originale l’ambition décloisonnante des pratiques artistiques de l’art contemporain. En parvenant à réaliser le rêve deleuzien d’une multisensorialité de l’expérience esthétique, elle donne consistance à une « œuvre d’art totale » qui ne se confond pas avec la démesure du projet wagnérien. L’art de Béatrice Bissaraserait plus proche de la démarche d’un Julio Le Parc érigeant en mode opératoire de sa création l’éloignement de toute œuvre fixe, stable et définitive. De fait, les dernières installations de l’artiste fonctionnent comme de véritables « machines célibataires » à la mesure de notre temps, et sollicitent chez le spectateur une immersion intense, susceptible d’élargir le champ de sa conscience.

- ECOPHELIA

Installation de Béatrice Bissara en binôme avec Antoine Campo DU 15 SEPTEMBRE > 23 OCTOBRE 2019

Vernissage le dimanche 15 Septembre à 17H PORTE MAUBEC - 6, RUE SAINT-LOUIS - 17000 - LA ROCHELLE

Ouverture Jeudi > Dimanche : 12H / 20H

- COSMOGARDEN OPHELIA

Fresque peinte par Aki Kuroda en accord avec Yoyo Maeght DU 14 SEPTEMBRE > 21 DÉCEMBRE 2019

Vernissage en présence de l’artiste le samedi 26 Octobre 2019

LA MANUFACTURE LA ROCHELLE-LALEU - 14/18 AVENUE RAYMOND POINCARÉ - 17000 - LA ROCHELLE

Ouverture Jeudi > Dimanche : 12H / 20H

https://galerie-lamanufacture.com

Yves Klein ou l’éclipse de l’art

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Yves Klein ou l’éclipse de l’art

Et si l’originalité d’Yves Klein résidait plus dans ses œuvres immatérielles que dans ses monochromes au bleu outremer profond. Sa rétrospective au musée Soulages à Rodez oublie cette part visionnaire de l’œuvre.

Par Eric Monsinjon

Pourquoi Yves Klein est-il toujours réduit à son bleu qui l’a rendu célèbre ? La rétrospective de l’artiste au musée Soulages à Rodez n’échappe pas à la règle en exaltant le peintre du bleu outremer pour mieux organiser sa confrontation convenue avec Pierre Soulages, maître des lieux et peintre de l’Outrenoir. Dès lors, on ne s’étonnera pas que l’exposition fasse la part belle aux monochromes et anthropométries de l’époque bleue. L’accrochage néglige les œuvres sur le Vide et l’Immatériel, alors qu’elles sont majeures dans le parcours de l’artiste, et dans l’histoire de l’art en général. Né le 28 avril 1928 à Nice, et mort le 6 juin 1962 à Paris d’une crise cardiaque à l’âge de trente-quatre ans, Yves Klein va révolutionner l’art de la deuxième moitié du XXe siècle en seulement huit ans d’activité, de 1954 à 1962.

MONOCHROMES ET ANTHROPOMETRIES

« Ce n’est pas moi qui pourrais obscurcir la gloire d’Yves Klein : c’est bien plutôt ce qu’avait fait Malevitch quarante ans auparavant (...)», dénonce le situationniste Guy Debord (1931-1994) qui considère que les monochromes de Klein ne sont que la répétition du Carré blanc sur fond blanc (1918) de Malevitch. De nos jours, il est peu probable qu’un expert ou un historien de l’art adresse une telle critique à Yves Klein. Le temps des duels intellectuels et des enjeux esthétiques des avant-gardes est révolu : la décomposition de la représentation, l’abolition de la peinture, l’avènement du ready- made et la destruction dadaïste de l’art. Yves Klein prend part à ces débats, même s’il s’en défend.

Vue de l’exposition “Yves Klein, des cris bleus” au musée Soulages, Rodez, avec trois œuvres de la série “Anthropométries de l’époque bleue” (1960). © Musée Soulages, Rodez/Photo Thierry Estadieu

D’emblée la première salle de l’exposition rodézienne immerge les visiteurs dans l’aventure monochrome. Au centre de l’espace, un immense rectangle de pigment bleu posé sur le sol donne le ton. Mais l’exposition ne restitue pas le climat avant-gardiste des années 1950 dans lequel Yves Klein évolue. L’artiste niçois participe un temps au groupe des nouveaux réalistes, fondé en 1960 avec le critique et ami Pierre Restany, qui prétend se situer « 40° degrés au-dessus de Dada ». A la fin des fins, les Nouveaux Réalistes s’approprient l’objet ready-made de Duchamp pour en produire des variations. Aucun dépassement n’a eu lieu. Pour comprendre la subtile articulation du matériel et de l’immatériel au sein de son œuvre, il est important de savoir qu’Yves Klein est un fervent catholique. Il croit donc à la dualité corps-esprit, et au couple incarnation-immatériel. En 1960, il réalise en public de spectaculaires anthropométries, tandis qu’un orchestre entonne la Symphonie Monoton-Silence, qu’il a composée. Des femmes nues, transformées en véritables corps-pinceaux, s’enduisent de peinture bleue, tandis de l’artiste supervise rituellement l’exécution des toiles.

Yves Klein, Monogold sans titre, 1959.

VIDE ET IMMATERIEL

Alors qu’il triomphe avec son bleu, Klein rêve déjà d’autres exploits. L’art doit selon lui dépasser la matérialité. La couleur physique constitue encore un obstacle. Pour aller plus loin, il lui faut projeter l’art dans l’invisible. En mai 1957, il commence ce qu’il nomme l’« immatérialisation du bleu » en exposant au rez-de-chaussée de la Galerie Colette Allendy une série de monochromes bleu outremer (visibles dans l’exposition de Rodez) et une salle vide au premier étage émettant un rayonnement « bleu immatériel ». Pour son trentième anniversaire, le 28 avril 1958, il organise L’Exposition du Vide à la Galerie Iris Clert à Paris. Et c’est là que précisément l’exposition du Musée Soulages n’est pas au rendez-vous : les célèbres photographies montrant Klein déambuler dans l’espace vide de la galerie manquent à l’appel.

Yves klein musee pierre soulages rodez

Idem pour l’exposition à laquelle il participe à Anvers en 1959. Lors du vernissage, Klein se place dans une salle vide du musée et, devant des spectateurs ébahis, prononce une phrase de Bachelard : « D’abord il n’y a rien, ensuite un rien profond, puis une profondeur bleue. » Par ce cérémonial, il met en scène l’apparition de la couleur immatérielle, affranchie de sa base matérielle. La même année, il organise d’incroyables cessions de « zones de sensibilité picturale immatérielle ». Il vend littéralement de l’immatériel. En échange du chèque de l’acheteur qu’il brûle immédiatement, il jette des feuilles d’or dans la Seine. Rien ne subsiste, ni l’œuvre, ni son échange marchand. Par certains côtés, il flirte avec l’art infinitésimal (1956) d’Isidore Isou et anticipe l’art conceptuel (1965) d’un Joseph Kosuth ou d’un Robert Barry. Malheureusement, l’exposition rodézienne aborde peu ce volet. Seules quelques œuvres en témoignent : Le Saut dans le Vide (1960), une photographie montrant l’artiste en train d’effectuer un saut de l’ange dans une rue de Fontenay-aux-Roses ; également les très beaux projets d’architecture de l’air réalisés avec l’architecte Claude Parent. Klein imagine une architecture dématérialisée au moyen de murs d’air soufflé délimitant des espaces climatisés naturellement. Signalons aussi, Excavatrice de l’espace, une œuvre composée d’un disque bleu vibrant sur une machine de Jean Tinguely. « Mes œuvres sont les cendres de mon art », lance Yves Klein qui considère l’immatériel comme le point central de son travail. Et dans l’immatériel, il y a l’annonce du dépassement de la peinture et de l’art lui-même, jusqu’à son éclipse totale.

Exposition « Yves Klein, des cris bleus... ». Musée Soulages, Rodez.

Jusqu’au 3 novembre 2019.

Site du musée Soulages

https://musee-soulages.rodezagglo.fr/

Bernini, un anti-Bacon ?

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Bernini, un anti-Bacon ?

Contrairement à la peinture de Bacon, l’art de Romain Bernini ne cherche pas à agir directement sur le système nerveux du spectateur. Il nous invite à nous déprendre d’une culture de l’image facile et bavarde. Une autre extase plus mentale que nerveuse !

Au moment où l’exposition Bacon au Centre Pompidou nous abreuve de sa peinture haute tension, Romain Bernini nous propose ses œuvres peintes très éloignées des intensités de la scénographie baconienne. On est loin chez le peintre français des scènes légendaires qui ont fait la réputation du génie anglais, entre crucifixions, seringues hypodermiques, vomissements, éjections… et autres cris de pape qui n’en finissent pas de résonner à nos oreilles d’esthète ! Au regard de la présence des œuvres de Bacon, les toiles Bernini nous offrent une peinture beaucoup plus sage en apparence. Le jeune peintre Français ne cherche pas à agir immédiatement sur le système nerveux. Au contraire, il ne cesse de suspendre la puissance envoûtante de l’image, en la mettant à distance. Bref, Romaine Bernini est un peintre de la représentation. Son extase est ailleurs. Il vise sans doute à se déprendre de cette culture de l’image facile et bavarde dont notre occident est si fière. Un travail de sortie de soi, plus mental que nerveux !

Créolisation des images

À l’instar de Manet, l’un de ses maîtres préférés, Romain Bernini cultive le goût du décalage savant et de l’étrangeté. Un art de brouiller les pistes qui procède d’une créolisation habile des images, dont le peintre du Déjeuner sur l’herbe fit sa marque de fabrique en combinant constamment ses sources contemporaines de l’image avec des références classiques de l’histoire de la peinture, et des emprunts aux autres cultures – comme celles du japonisme fin de siècle. Comme Manet, Romain Bernini aime la créolisation des images, là où l’opinion majoritaire préfère reconnaître une identité, un air de famille, une familiarité…Le peintre affectionne le décalage, l’effet de distanciation. Un vrai Brechtien de la peinture !

ROMAIN BERNINI, To be titled, 2019, huile sur toile 55 x 46 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

De fait, lorsqu’on se place devant l’une de ses toiles présentées à la galerie Suzanne Tarasiève, on ressent à la fois une impression de mystère insondable et une irrésistible fascination, d’autant plus paradoxale que les motifs et les thèmes peints par l’artiste semblent plutôt modestes : un visage, une forêt, des branchages, un personnage masqué, une déesse paléolithique, une étude de mains, etc.

Les sujets de ses œuvres ne semblent donc pas difficiles à comprendre au premier abord. Nous sommes à l’évidence face à des représentations, dont le réalisme ne fait aucun doute, même si leur présence insulaire et flottante nuance leur réalisme insigne.

Le peintre de quarante ans n’a d’ailleurs pas à se justifier de pratiquer une peinture « figurative », fort du travail de ses ainés qui ont rendu à ce médium toute sa puissance narrative. L’artiste n’a plus également à avoir honte de revendiquer un attrait prononcé pour des couleurs, parfois saturées, quasi-punk, qui composent des fonds admirables à des compositions principalement centrées sur ses personnages isolés. Et pourtant, les toiles de Romain Bernini, malgré l’apparente simplicité de leur propos se dérobent immanquablement à une interprétation claire et immédiate.

Rarement l’adage célèbre selon lequel « La peinture est une poésie muette» n’a semble-t-il trouvé sa pertinence et sa confirmation indiscutable, tant les tableaux de Bernini surprennent par leur mutisme et l’absence totale de récit ou de dialogue pouvant animer leur représentation. La solitude des personnages et des êtres peints semble leur commune mesure, comme si l’exil était devenu notre humaine condition.

Je rêve d’un peuple qui commencerai par brûler les clôtures et laisser croître les forêts

Lors de ses précédentes expositions, l’artiste avait donné une consistance plus explicite à ces nouvelles figures de l’exil contemporain, en proposant des peintures de migrants réalisées à partir de captures d’écran vidéo prises au pied des murs érigés aux frontières de pays comme les États-Unis. À l’instar de Thoreau, Romain Bernini déteste les frontières qui cloisonnent les cultures et les hommes. Il fait sienne la maxime de l’auteur de La vie dans les bois : « Je rêve d’un peuple qui commencerai par brûler les clôtures et laisser croître les forêts ».

ROMAIN BERNINI True Love Leave No Traces, 2019 huile sur toile 41 x 33 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

La lecture de Thoreau l’avait d’ailleurs mené des clandestins et des migrants, à ces murs qui les empêchent de voyager vers la forêt. La forêt est d’ailleurs omniprésente chez le peintre, telle une métaphore de cette pensée sauvage d’où peut venir, peut-être, de nouvelles figures dionysiaques susceptibles de ressourcer nos cultures. L’artiste se veut compagnon de ces héros-limites que sont le chamane, le poète et le clandestin. Il y a chez Bernini une insistance à penser le monde en opérant une créolisation ludique des représentations humaines, avec cette volonté farouche de sortir du monde de l’entre-soi et des crispations identitaires, vers un ailleurs qui ne se confonde pas avec celui d’un exotisme désuet. L’artiste pour cela n’hésite pas à métisser la peinture elle-même, en combinant l’abstraction la plus libre à un réalisme insistant et naïf. La plupart du temps les fonds sont de pures abstractions avec une indétermination des espaces et des temps qui confèrent un supplément de mystère à la toile, comme avec ces quatre imposantes Vénus préhistoriques sur lesquelles débutent et s’achèvent l’exposition. Les déesses se détachent d’autant plus sur ce fond abstrait et multicolore aux couleurs pop, qu’elles sont peintes avec une précision remarquable, ce qui leur confèrent une présence sculpturale, à l’instar d’énigmes remontant des temps les plus anciens.

ROMAIN BERNINI Your Love Is Weird, 2019 huile sur toile 200 x 160 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Elles évoquent le monolithe du Kubrick de 2001, L’Odyssée de l’espace flottant dans le cosmos, véritables énigmes renvoyant au mystère de notre existence. Mais Romain Bernini se joue également des échelles et des titres. Ainsi ces quatre vénus paléolithiques sont représentées de manière extrêmement agrandie. Elles mesurent en réalité moins d’une dizaine de centimètres.

« Il s’agit pour moi d’un hommage autant qu’un jeu avec la femme des origines. Auratiques et mystérieuses ces Vénus paléolithiques portent ici les titres de morceaux de musique pop et mélancoliques dépeignant l’amour. Aussi l’agrandissement excessif de ces figures les transforme en astéroïdes lancés dans l’espace et la couleur. Elles portent les titres suivant, issues de chansons pop ou folk, produisant un décalage par rapport au sujet préhistorique : -Dress Sexy At My Funeral, (une chanson du groupe Smog) / Your Love Is Weird, (une de Beck) / Honey, I Sure Miss You (Daniel Johnston)/ Forget My Heart (The black heart procession) »

À travers la vingtaine d’œuvres, peintures et de dessins, le parcours de l’exposition dévoile, ainsi un univers peuplé de présences ancestrales et totémiques où l’artiste questionne les mystères des rites ancestraux, en confrontant nos cultures avec le plus lointain. On y retrouve, notamment, ces personnages contemporains sans visages, affublés de masques provenant de contrées lointaines, ou ces visages maquillés de tatouages ethniques. En ce sens la peinture de Romain Bernini participe à l’effort de la pensée contemporaine (celle de Derrida et de Deleuze notamment) pour redessiner les répartitions habituelles à la mise en ordre occidentale (proche/ lointain, fermé/ ouvert). L’art rejoint alors la philosophie pour tracer les lignes étranges de nouvelles cartes, celles d’un monde et d’une pensée indéfinis, disséminés, ouverts.

Repeindre les répartitions habituelles à la mise en ordre occidentale

Tel cet imposant triptyque exposé dans la seconde salle de la galerie, représentant des feuillages aux abords exotiques et dont le titre Grans Bwa, désigne en créole haïtien, le nom donné à l’esprit vaudou de la forêt.

ROMAIN BERNINI, Grans Bwa XX, 2019 huile sur toile 230 x 600 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Cette forêt malgré son évidente présence nous échappe. Ailleurs et dans un autre temps dit le titre de l’exposition. L’artiste délivre quelques secrets de sa composition qui confère à sa peinture cette étrangeté emblématique de son style :

« Le paysage peint est ici considéré comme une porte d’entrée sur un autre monde. Constitué de feuillages que j’ai trouvé dans un voisinage proche (salle d’attente, magasin, parc ou serre publique…), ce tableau n’est pas le résultat de longs voyages, mais plutôt le fantasme d’un ailleurs, d’un lointain, avec des éléments collectés dans mon voisinage».

La peinture muette de Romaine Bernini

L’une des magnifiques innovations offertes par cette exposition se trouve, également, dans la série de tableaux de petit format consacrée au motif animalier cher à l’artiste. Au lieu de représenter « littéralement » les images de tortue, de faucon et autre Porc-Épic, Romain Bernini en passionné d’études ethnographiques peint leurs représentations symboliques dans une séries d’études de main remarquable.

« Accrochés sur un long chiffon, utilisé à l’atelier ces derniers mois, les tableaux Petite Tortue, Pangolin, Faucon et Porc-Épic proviennent des signes que font les Bushmens d’Afrique du Sud pour symboliser ces animaux. Trois portraits de Chamans imaginaires leur font face. Les tableaux des mains portent simplement le nom des animaux qui sont signés, mimés ici par la main. »

ROMAIN BERNINI Faucon, 2019 huile sur toile 40 x 40 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

L’artiste propose à travers ce déplacement subtil de la représentation symbolique d’animaux dans la langue des signes des Bushmen, à nouveau un effet de distanciation qui pour le coup renchérit sur le caractère mutique des peintures, la symbolisation par les mains évoquant immanquablement la langue des sourds.

La peinture de Romain Bernini est profondément muette. Elle est semblable à un théâtre archaïque ou antique, exempte de la tyrannie du dialogue. Peinture sans intrigue, ni héros, sans morceaux de bravoure. Elle est dépourvue de bavardages (inutiles) et de sentimentalisme. Elle n’a rien du vaudeville qui fit une part de notre histoire du théâtre bourgeois et dont la peinture fut la soumise servante.

Romain Bernini ramène dans la peinture la plus contemporaine un dispositif quasi théâtral qui n’a rien d’une conversation aimable. Tout comme le théâtre n’est nullement à l’origine, un lieu de conversation et n’est pas né du besoin de mettre en scène des êtres pour qu’ils échangent indéfiniment des répliques. La créolisation esthétique à laquelle se livre Romain Bernini, en brouillant modernité et archaïsme et multipliant les décalages culturels, est très proche des effets de distanciation initiés par Manet dans la peinture ou par Brecht au théâtre.

La distanciation

L’effet de distanciation est d’ailleurs omniprésent chez Bernini.

L’étrangeté est provoquée, notamment, par l’irruption dans le réalisme du tableau d’un motif en décalage, issu d’un registre culturel extérieur opérant un collage d’éléments culturels hétérogènes appartenant à des registres spatio-temporel totalement différents. Le plus manifeste de ces effets de distanciation étant celui mis à l’œuvre dans le collage du personnage vêtu à l’occidentale portant un masque de papou que l’on découvre dans l’admirable toile de la seconde salle de l’exposition (Sweet Exorcist) ou dans les dessins présentés à l’étage de la galerie, extraite de la série «Cargo Culte».

Le masque étant lui-même une figure de l’irréel, du fétiche, il opère un remarque effet de mise à distance semblable à celui du roi nègre de Hamlet !

ROMAIN BERNINI Sweet Exorcist, 2019 huile sur toile 230 x 200 cm. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

SUZANNE TARASIEVE PARIS

7, rue Pastourelle - 75003 Paris T :+33(0)142717654

ROMAIN BERNINI

Ailleurs et dans un autre temps

07 septembre – 05 octobre 2019

Site de la galerie Suzanne Tarsiève


Prisca Temporal, la nuit je peins

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Prisca Temporal, la nuit je peins

Dans la lignée d’une noble tradition de peintres français ( Cézanne, De Staël ) Prisca Temporal nous offre un bel exercice de résistance à l’égard de la liquidation généralisée du sentir.

Le terme de « présence » prend avec la peinture de Prisca Temporal un sens décisif en ce qu’il rejoint celui d’existence. Le travail de cette jeune artiste autodidacte, en effet, ne passe nullement par l’artifice des images ou du discours. Il est tout entier dans sa pure présence, étrange et insistant. Présence d’autant plus forte que Prisca Temporal travaille la peinture a minima, une abstraction douce de prime abord, sensible et délicate. Avec une grande économie de moyens, elle parvient à nous laisser entrevoir la puissance d’un océan de vagues, de vibrations nous laissant cois, sans voix. L’artiste peint dans une position de déséquilibre, elle se met en danger pour retrouver cet équilibre déclencheur d’émotion chez le regardeur.

La palette de couleurs timide de Prisca Temporal sait s’affirmer. Devant une toile de l’artiste on est saisi d’une émotion si intense qu’elle nous étonne. Allers et retours des yeux sur une ligne d’horizon qui peut ne pas en être une. Allers et retours pour de nouveaux voyages intérieurs. Prisca Temporal nous donne à ressentir l’immensité du mystère que la peinture nous offre, parfois.

On pourrait même invoquer l’anecdote de ce poète proche du suicide qui se trouvant par hasard devant un tableau de Mondrian se surprit à penser : “ Puisque cela existe, je ne peux pas me suicider ”. Il ne s’agit nullement d’affirmer que la peinture de Prisca Temporal aurait des vertus cathartiques sur le spectateur dépressif à l’heure où la planète s’embrase. En revanche, il est sans doute plus juste de dire que l’œuvre de cette artiste nous offre, à l’instar de cette noble tradition de peintres français (Matisse, Cézanne, De Staël…) un magnifique exercice de résistance à l’égard de la liquidation généralisée du sentir, sous le coup de la quête éperdue de sensations fortes, addictives.

Prisca Temporal, 120X150 EAU FAIT LIT

Ici nulle image, mais la douceur et la force du sensible ! D’autant plus surprenante que cette peinture se joue d’une partition diurne et nocturne. La luminescence de la peinture de Prisca Temporal naît, en effet, des pigments intégrés à ses jus. La nuit l’œuvre sait révéler un autre visage.

Ses dernières œuvres sont présentées à partir du 5 octobre à La Manufacture – Galerie Axelle Gaussen à La Rochelle.

Prisca Temporal, atelier, copyright antoine campo

Prisca Temporal, Galerie La Manufacture, à partir du 5 octobre 2019

La Manufacture

4 jours pour graffer

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4 jours pour graffer

La nouvelle édition du festival Traits d'Union ouvre ses portes aujourd’hui à Montreuil. Pendant quatre jours plus d’une centaine d’artistes dévoile une exposition mêlant graffitis, arts plastiques, musique et danse avec la crème des graffeurs de l’île de France.

À la veille des grandes foires (FIAC et autres) qui vont déverser jusqu’à la nausée leur flot de collectionneurs abonnés du CAC, et dresser sur l’hôtel de l’argent roi un art plus que jamais soumis au régime du fric, en ravalant les œuvres à ne plus être que de simples marchandises - ou produits dérivés de marque, il est bon d’aller se ressourcer au festival Trait d’Unionà Montreuil, pour y retrouver l’effervescence d’une création libre et sauvage, indifférente au prix de l’art. C’est gratuit !

Installée dans l’ancien lieu de tournage des frères Pathé, sous une verrière mythique, cette exposition de street art réunit plus de 100 artistes et acceuillera plusieurs milliers de visiteurs. Pour cette édition Traits d’Union fait le lien entre les artistes, la musique, la poésie, le slam, la danse et la création plastique autour du thème des frontières. Un foisonnement de participants de tous horizons et un dédale d’installations disséminées dans les studios de l’Albatros. 4 jours durant où l’on pourra profiter, également, de concerts, de live painting, de danses, de slam, d’un bar et d’autres surprises.

Martin Peronard

Fondé en 2005 à l’initiative du street artiste Artof Popof, le festival « Traits d’union » se veut, en effet, un événement artistique multi-disciplinaire qui réunit street art, danse, slam, théâtre, performances… Pour sa5eédition en 2015, il rassemblait, déjà, 220 artistes exposants et 10 000 visiteurs en 4 jours !

Alan Reuilier

Le festival installé à l’Albatros de Montreuil, dans les anciens studios de cinéma Pathé, rassemble chaque automne des centaines d’artistes et attire depuis des milliers de visiteurs. Le mur de la rue du sergent Bobillot devient à chaque édition une véritable galerie à ciel ouvert.

Graffiti, Popof, 2019

Artof Popof, la beauté dans la rue

Au Studio Albatros (à Montreuil, métro croix de Chavaux), l’artiste peintre Artof Popof nous ouvre les portes d’une installation monumentale ayant pour thème les «FRONTIÈRES». Artof Popof, de son vrai nom Alexis Ginzburg, est né en Union Soviétique en 1975. Son père est un journaliste dissident qui fut condamné au goulag à trois reprises puis finalement expulsé avec sa famille en 1979. La famille s’installe en banlieue parisienne. Que ce soit à Moscou ou à Paris, Alexis grandit entouré d’artistes et d’intellectuels issus de mouvements anticonformistes russes. Son éducation et sa sensibilité vont être forgées par une double culture.

Artof Popof

Le gout des fresques, celui de la peinture dans la rue, il le trouve en croisant en 1987 une fresque murale sur un mur de Montreuil. Il se met dans la tête de créer lui aussi des fresques hautes en couleurs. Il commence rapidement à poser ses premiers tags dans les rues de Montreuil, puis avec le crew MAC à investir les terrains vagues de l’Est Parisien. En parallèle il rentre aux Beaux-Arts de Versailles et s’initie à la peinture classique et à la toile. Artiste peintre urbain, Artof Popof partage son art entre le pinceau et la bombe. Dès 1989, il participe activement au mouvement naissant du Graffiti en France. Les murs fades qu’il croise ne tardent pas à reprendre des couleurs, et au gré de ses collaborations, ses grandes fresques murales tatouent les murs de Paris, de New York, de Delhi et d’autres cités encore. L’art de Popof se veut un trait d’union entre l’Homme et la Ville, entre l’intime et le collectif. Dans son atelier, il recherche une ligne graphique et colorée qui lui serait propre. Son travail l’amène à allonger des lettres, à les muter en cinq lignes parallèles qui vont se croiser et s’enlacer. Ces cinq lignes vont devenir la véritable signature de l’artiste, une signature identifiable, connue et reconnue dans le monde du graffiti.

Popay, Le parrain

Le parrain de cette édition 2019 est l’artiste peintre graffeur POPAY. Pionnier du mouvement graffiti en France dès le milieu des années ’80, Juan-Pablo ””’POPAY””’ De Ayguavives vit et travaille à Paris. Renouvelant les canons -américains- du graffiti Hip-Hop sous diverses influences (Bande-dessinée, Figuration Libre ou Art Moderne...), Popay, tagger virtuose, maître es-calligraphie, est un des premiers artistes européens à avoir renouvelé le genre en agrémentant ses fresques de personnages picaresques, de paysages prolifiques et de « Freestyles » fiévreux, abstractions lyriques et organiques d’une grande force et d’une réelle variété chromatique.

C’est alors déjà un « writer » et coloriste hors-pair dans ce mouvement émergent en marge du marché de l’art, qui ne se fait pas encore appeler ‘Street Art’.

Fresque de l’artiste Popay, 2019

PSYCKOZE

Pionnier du graffiti en France, Psyckoze est sans doute l’un des rares artistes à avoir mener de front, avec une abnégation sans faille, un travail de peinture dans la rue et en atelier. Figure incontournable de l’underground parisien, il a déployé sous les rues de Paris, dans le labyrinthe des catacombes non officielles, un travail protéiforme (peinture, sculpture, mosaïque) qu’il a immortalisé il y a 3 ans dans un ouvrage « intime errance cataphile » publié aux éditions h’artpon.

Ses graffitis dans la rue, énergiques, précis et colorés, nourrissent son travail d’atelier qui conjugue aujourd’hui ses personnages, exécutés d’un trait, comme une signature, des scènes figuratives et son univers abstrait reprenant les codes de sa pratique dans la rue. Ses oeuvres sont régulièrement exposées par plusieurs galeries en Europe.

175, Voodoo Sool, Gravure et tatouage sur le mur de l’Albatros réalisé en 175 heures.

J’ai gravé et tatoué le mur de l’Albatros en 175 heures.

Voodoo Sool a réalisé une fresque en 175 heures. Notre coup de coeur.

« Celle que je dois mettre en avant est Nicole Chesny, une peintre du Sud qui m’a transmis l’art du graphisme dans le véritable sens du terme ! C’est elle qui m’a appris à utiliser une plume et de l’encre, des pinceaux et à regarder sur un apprentissage de sept ans. Ceci dit, je me considère autodidacte mais je ne renie pas ces écoles pour autant, j’étais peut être un peu trop en rébellion pour que ça fonctionne. J’ai aussi passé pas mal de temps à Bruxelles pour des expos, des performances et j’ai rencontré un artiste incroyable, Charley Case, qui m’a beaucoup encouragé et avec qui j’ai collaboré. Pour vous parler de ce que je fais, c’est une carte, un territoire de l’inconscient, une partition musicale, un fossile... J’adore les sciences naturelles. Je voulais être musicienne, archéologue, vulcanologue, aventurière, danseuse... Je réunie toutes ces passions avec ces dessins. Mais en fait c’est une boucle qui se répète à l’infini. J’ai commencé à les faire durant une dépression. Je dessinais ce que je ressentais ; je tournais en rond, c’était noir, je revenais toujours au même point. Au début, en noir sur blanc. Et lorsque la lumière est revenue, en blanc sur noir. Pour ajouter de la lumière dans les ténèbres, si vous voyez ce que je veux dire. Lorsqu’on me demande ce qui je fais dans la vie, je réponds que je cherche la lumière. J’essaie de faire un lien entre Dieu, la nature et l’homme. J’ai gravé et tatoué le mur de l’Albatros en 175 heures. Il s’appelle donc 175.»

175, Voodoo Sool, Gravure et tatouage sur le mur de l’Albatros réalisé en 175 heures.

MOHA

Moha Hamdaoui est photographe autodidacte depuis plus de 20 ans. d’abord assistant de photographes de mode, il entame une carrière solo dans le domaine du reportage. en stage à l’afp Toulouse, il couvre des événements politiques et culturels. passionné des territoires urbains en noir et blanc, au fil du temps sa vision se fait plus artistique. il participe aux rencontres de photographie d’arles. dans ses photographies, le point de vue est toujours original, les lignes prégnantes et le mouvement suggéré dans la série «l’aire glaciale solarisée»,il donne une libre interprétation de vues par le décalage des couleurs.

Travail photographique de MOHA

Clément Schoevaërt est dessinateur. Il vient d’une longue tradition familiale de faiseurs et faiseuses de dessins. Il pratique l’art de la gravure sur bois et sur lino et donc de l’impression sur tissus et papiers. Il sort du cadre traditionnel de la représentation picturale en collant des agrandissements papiers de ses œuvres gravées dans la rue. Parallèlement il pratique l’art du marionnettiste qui lui donne envie de présenter ses œuvres sur modules carton et bois.

Clément Schoevaërt confectionne des objets du quotidien, usuels et pratiques où il imprime son travail et son imaginaire.

Il a décoré de nombreux bars de Montreuil ou son sens de l’esthétisme trouve sa place et un écho très vivant dans le peuple de la nuit, des esthètes alternatifs et des scènes musicales.

Catherine Wilkening, Envole-moi, sculpture de porcelaine, 2019

Catherine Wilkening sculptrice et commédienne expose à Paris en 2015 à la galerie Caroline Tresca, puis à Bangkok et à Art Stage à Singapour avec la Galerie YenakArt Villa, puis à nouveau en France avec diverses galeries tout en participant à des expositions collectives à Lisbonne… En 2019 elle présente ses œuvres au Grand Palais pour Art Paris avec Loo&Lou Gallery.

Stayreo

https://www.artofpopof.fr/les-editions-passées-traits-d-union/

La peinture est une fête !

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La peinture est une fête !

C’est un mystère qui entoure le jeune artiste malien Famakan Magassa qui n’a rien à envier à celui de Mona Lisa ! Sa peinture aussi étrange que drôle est un hymne à la vie.

Par Floréal Duran

Il y a sans aucun doute un mystère qui entoure ce jeune artiste malien, un mystère que nul ne saurait percer et que même son œuvre ne laisse trahir. Ses personnages sont aussi étranges que sa peinture. Famakan Magassa est un jeune homme solaire et un adorateur de la nuit. Combien de fois ne l’ai-je pas eu en ligne à des heures indues ? Mais du haut de ses 21 ans, se dresse un être pétri d’humanité que seul son caractère réservé protège du grand chahut-bahut de notre monde. Dans son silence il observe, décrypte, imagine et réinvente son environnement à sa façon.

Soifs nocturnes

Le goût du dessin, de la composition lui est venu très jeune en voyant son frère toujours un crayon à la main. Loin de vouloir l’imiter il commença à dessiner pour des exercices de biologie, de géographie à tel point qu’il devint déjà̀ une référence pour les écoliers qui le sollicitaient pour leurs devoirs. Avait-il lui-même que ces faits le marqueraient au point d’embrasser une carrière artistique bien des années après ? Dans son inconscient la voie paraissait déjà toute tracée.

Famakan Magassa 10 African Trump 169 x 127cm

Cette même discrétion entoure Famakan Magassa tout au long de son parcours scolaire que ce soit durant ses années d’adolescence ou cette entrée dans l’âge adulte qui est souvent propice à̀ des changements de direction ou de remises en question. Après son DEF il ira à Bamako et c’est là qu’il fréquentera l’atelier Badialan 1 que fréquentent de nombreux jeunes artistes ou étudiants en art. C’est en quelque sorte le lieu de rendez-vous le plus prisé du pays où des stars internationales des arts plastiques côtoient des jeunes débutants.

Famakan Magassa Les étonnés 118 x 83cm

Il est cependant important de signaler que le Mali est un pays où l’enseignement artistique n’est pas encore suffisamment diffusé et qui souffre d’un nombre de galeries très restreint. Hors Bamako, point de salut. Malgré cette pénurie notre jeune artiste s’est obstiné à poursuivre sa voie, à surmonter les obstacles pour décrocher sa licence d’art en juillet 2018.

LA DISCUSSION – série « Korèdougas » - acrylique sur toile – 169 x 157

S’il n’a pas encore exposé, ses œuvres commencent déjà̀ à susciter un certain intérêt car elles reflètent le double « je » de l’artiste, le Nare chaleureux et enjoué et le Famakan nimbé de mystères. Ici nous sommes en présence d’un peintre dont l’univers ne cessera de nous surprendre car avec peu de mots et une multitude de petites touches colorées il est en train d’imposer son style. Du cahier d’exercices de l’école primaire à la toile posée devant lui il dévoile de tous petits détails de ce qu’il porte au plus profond de lui.

LA JOIE DE DANSER – série KOREDOUGA – acrylique sur toile – 170 x 169 – 2018

JEUX D’OMBRES ET DE LUMIERES

A chacun ses références et ses repères. Si l’œuvre et le style de Famakan Magassa n’appartiennent qu’à lui on cherchera en vain des références ou des analogies avec d’autres artistes contemporains. La peinture de ce jeune artiste est hors du temps tout comme elle est hors des sentiers battus. Alors qu’en est-il pour ce jeune homme que La Joconde de Léonard de Vinci ne cesse d’intriguer ou de son admiration pour le Guernica de Picasso, œuvre marquante du 20ième siècle ? Son mentor pourrait bien être Abdoulaye Konaté un des peintres maliens des plus connus qui a su jouer avec les tissus et dresser des grandes silhouettes sur lesquelles s’entrecroisent des nuances, des textiles.

SCENE DE DANSE 1 série KOREDOUGA – acrylique sur toile – 171 x 145 – 2018

Famakan Magassa ne s’inspire pas toutefois d’eux mais leur force d’attraction l’a conduit à̀ établir un lien très particulier avec la peinture. Ses toiles semblent surgir de nulle part, d’un autre monde tout comme ces personnages pourtant bien réels mais si mythiques : les Korèdugas. Il s’agit d’une société́ secrète très fermée et assez répandue au Mali.

Le joyeux série KOREDOUGA – acrylique sur toile, 83 x 123 cm - 2018

TON PIED, MON PIED – série « Korèdougas » - acrylique sur toile – 167 x 158 – 2018

La vocation culturelle et éthique des Korèdugas se base sur des règles sociales et une philosophie mettant en avant la sagesse, la droiture, la bonne conduite et l’humilité́. Mais ce qui caractérise les membres de cette communauté́ non religieuse, ce sont leurs tenues où chapeaux coniques, plumes, bijoux, objets divers font partie. Il y a un aspect festif et extravagant qui rompt quelque peu avec leur mission sociale.

Cela donne lieu pour ses premiers travaux à une série de toiles qui forme une sarabande nocturne dans laquelle les Korèdugas dansent dans des postures aussi incroyables les unes que les autres. Rien ne saurait interrompre cette fête. Famakan Magassa apporte à la fois son savoir-faire par petites touches de couleurs assemblées les unes aux autres et par un art de la composition qui donne à l’ensemble beaucoup de mouvement. On se laisse happer par cette frénésie, ces corps désarticulés ou totalement déhanchés. Les visages sont à̀ peine esquissés, cachés par d’énormes lunettes, fantomatiques et délurés. Il laisse ainsi planer une grande part du mystère qui entoure ces hommes de la nuit.

Famakan Magassa 9 Le degue 125 x 83 cm

Dans les toiles du jeune artiste le contraste est saisissant entre le noir du corps et les couleurs opales des vêtements, entres les peaux d’ébène et des roses délicats. Le mystère appartient au corps et à l’âme, la fête est symbolisée par la brillance des bijoux et la clarté́ des tissus. Par cette étrange mise en scène Famakan Magassa nous montre le chemin de l’humanité, celui du bien dans un monde qu’il voudrait apaisé, celui du divertissement avec pour célèbre devise « la vie est une fête ».

Trait d’union série KOREDOUGA – acrylique sur toile, 2018

Discret, voire secret, il me dit « après les Korèdougas je parlerai d’autre chose, j’aborderai un autre thème » sans dire mot de ce qu’il projette. Et l’artiste se fond dans la nuit.

Famakan Magassa

NARE FAMAKAN MAGASSA est représenté par 5 Mondes Gallery : Contemporary International & African Art (Abidjan) en tant qu’artiste permanent

Contact : 5mondes.gallery@gmail.com

Aki Kuroda hors du temps

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Aki Kuroda hors du temps

À 75 ans Aki Kuroda n’en finit pas de redonner une consistance inattendue à la célèbre formule de Shakespeare, disloquant avec la jubilation d’un jeune homme le cours du temps. Sa dernière fresque réalisée à La Manufacture de La Rochelle étonne par l’époustouflante énergie qui la traverse.

« Time is out of joint». À 75 ans Aki Kuroda n’en finit pas de redonner une consistance inattendue à la célèbre formule de Shakespeare, disloquant avec la jubilation d’un jeune homme le cours du temps, pour le plus grand plaisir de nos sensibilités faméliques. Sa dernière fresque réalisée à La Manufacture de La Rochelle étonne par l’époustouflante énergie qui la traverse. Celui que Duras avait pressenti comme un alter ego se fait un plaisir de confirmer la peinture en écriture absolument libre, toujours capable de se jouer de l’espace-temps, du cosmos, de l’univers, et de la pensée.

Après s’être rapproché des plus grands scientifiques, astrophysiciens comme Hubert Reeves, ou des concepteurs de la fusée Ariane, ainsi que d’immenses écrivains ou penseurs comme Pascal Quignard, Lacoue-Labarthe ou Michel Foucault, Aki Kuroda revient à sa fascination pour Shakespeare en réalisant une fresque Ophélienne guidée par le metteur en scène et vidéaste Antoine Campo. L’œuvre éphémère « Cosmogarden Ophelia » d’Aki Kuroda sera exposée à La Rochelle jusqu’au 21 décembre 2019, à même les murs de La Manufacture La Rochelle, une ancienne ferme du 17ème siècle. La mémoire de cette création sera sauvegardée par un documentaire d’art réalisé́ par Antoine Campo qui témoignera de la performance inédite de l’artiste franco-japonais.

Aki kuroda, Cosmosgarden Ophelia vidéo réalisée par Antoine Campo à La Manufacture

Ophéliser le monde !

Antoine Campo, homme de théâtre et réalisateur nous livre le secret de sa passion ophélienne.

« Dans le désordre lyrique et le tumulte absolu de toute vie de metteur en scène de théâtre et d’opéra, Ophélie a été mon point d’ancrage parallèle, imaginaire et secret pendant trente ans. On peut s’acheter des fringues Lagerfeld ou Gaultier ou préférer acquérir un robot de compagnie, on peut faire des virées à Ibiza, des roof parties à New York, un week-end à̀ Rome ou Londres, un trekking au Népal, acheter des œuvres d’art contemporain ou des iPhone high tech, visiter le Taj-Mahal, on peut traîner sur Meetic, regarder des séries Netflix... que sais-je ? Moi, j’ai choisi de faire des films d’art sur Ophélie - la folle de Shakespeare - encouragé par les préraphaélites anglais, Delacroix, Berlioz, Rimbaud, Kate Winslet... Un fêlé́ d’Ophélie, quoi ! J’ai donc produit un nombre considérable de short films, vidéoclips, films d’art consacrés à l’amoureuse d’Hamlet. En trente ans et en parallèle de mes mises scène pour le spectacle vivant, cette œuvre filmique s’est mise à̀ prospérer, à être remarquée par la presse et la profession. Ça a commencé́ en 1989 à Paris, Edinburgh et New York et ça a continué́ jusqu’en 2019 au Studio des Ursulines (Paris), au Festival Lame de Son (Trouville), à L’Espace Icare (Issy les Moulineaux), au Musée de l’île de Ré́ (Saint-Martin de Ré́), à La Manufacture (La Rochelle) et bientôt à La Ciotat, berceau du cinéma... 30 ans avec Ophélie, c’est du sérieux ! «Ça s’est fait comme ça», c’est le titre de la dernière bio de Depardieu. Plus sérieusement, voici les thèmes ophéliens qui me sont chers : l’enfance, le don total de soi, le langage des fleurs, la folie, la noyade, le chant, la perdition, le deuil et l’amour fou. Je vois toujours Ophélie avec ce sourire penché qui fait monter les larmes et donne envie que la vie soit plus belle. Dans une intensité́ de vivre. »

Antoine Campo

« COSMOGARDEN OPHELIA » UNE FRESQUE ÉPHÉMÈRE D’AKI KURODA À LA MANUFACTURE LA ROCHELLE LALEU

De son coté, Axelle Gaussen galeriste et co-directrice de La Manufacture nous explique la genèse de cette collaboration avec Aki Kuroda et Antoine Campo autour de ce projet Ophélia.

Avant de m’établir à La Rochelle pour y pratiquer la céramique et y exposer depuis 15 ans des artistes plasticiens contemporains à La Manufacture, j’ai travaillé́ sous la direction d’Antoine Campo les grands textes du répertoire théâtral. J’ai donc vu naître son premier vidéo-poème « Ophélie song » en 1989. 30 ans après, l’année dernière, j’assiste à la rétrospective au Studio des Ursulines à Paris des clips Ophéliens d’Antoine Campo et retrouve une émotion profonde devant son travail et ce personnage shakespearien. 30 ans, ce n’est pas rien...De cette passion commune pour le théâtre et les arts plastiques, naît sous l’impulsion d’Antoine ce projet un peu fou.... d’inviter des plasticiens à s’emparer de cette folle de Shakespeare : Ophélie ! Une aventure commence dans cette ville d’eau qu’est La Rochelle ! Cette pièce d’Hamlet que j’ai vu montée par Patrice Chéreau en 1988 résonne aujourd’hui en moi comme j’espère en vous à travers ces thèmes : le ratage total, l’échec, l’amour fou, la difficulté́ d’agir, l’abandon, le spectre du père, la poésie des fleurs et du chant. Le théâtre et les arts plastiques ne servent-ils donc à̀ rien ? Moi ils m’ont servi comme une boussole dans la vie, à créer un chemin que je suis heureuse et émue de partager avec vous à travers ces évènements : performance / expositions / installation / vidéos. Aussi grand merci à̀ Antoine Campo pour ce souffle shakespearien, à tous les artistes et en particulier à Aki Kuroda de nous avoir suivis dans cette aventure « de bruits et de fureur », et au génie inclassable de Shakespeare avec cette réplique d’Hamlet qui murmure toujours inlassable : TO BE OR NOT TO BE, THAT IS THE QUESTION.

Axelle Gaussen, galeriste et co-directrice de La Manufacture

Aki Kuroda à La Manufacture

LA MANUFACTURE LA ROCHELLE LALEU 14/18 AVENUE RAYMOND POINCARÉ - LA ROCHELLE TÉLÉPHONE 06 70 06 29 33

http://www.galerie-lamanufacture.com

Goya à Agen, la règle et l'exception

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Goya à Agen, la règle et l'exception

Le musée des Beaux-Arts d'Agen présente Goya, Génie d’avant-garde, le maître et son école. Une exposition exceptionnelle à découvrir dans l’église des Jacobins, joyau local rattaché au Musée des Beaux-Arts.

Par Myriam Rotzetter

Fruit de la collaboration entre Juliet Wilson-Bareau, spécialiste de Goya, et de l’équipe scientifique du Musée, l’exposition qui se tiendra jusqu’au 10 février 2020 se montre ambitieuse et innovante en explorant la problématique des attributions dans l’œuvre du peintre, sujet épineux récemment passé sous le feu des projecteurs lors de la polémique autour de l’attribution du Salvator Mundià de Vinci. Les œuvres de Goya du Musée d’Agen proviennent des donations de la riche collection du comte Damase de Chaudordy (1826-1889) à sa ville natale. Ambassadeur à la cour de Madrid entre 1874 et 1881, ce dernier y acquis un groupe d’œuvres qui ont servi de trame au montage de l’exposition, dont La Messe des relevailles, un Autoportrait de 1783, le Portrait équestre de Ferdinand VII (esquisse), vers 1808, etc.

Attribué à Francisco José de Goya y Lucientes, Portrait équestre de Ferdinand VII (esquisse), autour de 1808 © Musée des Beaux Arts d’Agen

S’y ajouteront près de 90 œuvres de musées et collections privées à l’international, notamment La Femme à l’éventail (vers 1805-1810), prêtée par le Louvre. Peintre de Cour sous Charles III en 1786, puis sous son successeur Charles IV, Goya est nommé premier peintre de la Cour d’Espagne en 1799. C’est là qu’il réalisa certaines de ses plus grandes œuvres, comme la coupole de la chapelle royale San Antonio de la Florida à Madrid.

Goya, la règle et l’exception

A sa mort en 1828 cependant, sa réputation d’indépendance d’esprit et de peintre hors normes, portée par le mouvement Romantique, était bien installée. C’est peut-être son célèbre tableau El tres de mayo de 1808 en Madrid (1814), dont la composition et dénonciation des horreurs de la guerre rompent avec les traditions de la peinture d’histoire, qui l’illustre de manière la plus éclatante. Sa peinture devient celle des marges, des zones frontières entre la folie et la raison, la souffrance et le plaisir, l’érotisme et la mort. Mais elle est également l’affirmation d’une liberté artistique absolue qui coïncide avec la naissance d’une modernité de l’art. Celle que Goya condense dans des formules troublantes dans le rapport sur l’enseignement de l’art qu’il rend en octobre 1792 à l’Académie de San Fernando.

« Je ne vois aucun autre moyen de faire progresser les Arts, ni ne crois qu’il y en ait d’autre, que de récompenser et encourager ceux-là qui y excellent ; de tenir en grande estime les vrais Artistes, de laisser libre cours au génie des étudiants qui veulent les connaître, sans oppression, ni imposition de méthodes qui déforment l’inclination qu’ils montrent pour ce style de Peinture, ou cet autre.”

La Femme à l’éventail (vers 1805-1810), prêtée par le Louvre

Cette exposition propose d’établir à travers les peintures, les dessins et les gravures, les constantes dans les œuvres de Goya et entend révéler pour la première fois au public le rôle joué par son entourage et par les artistes qui travaillaient dans son atelier. Le parcours muséographique sera accompagné de dispositifs numériques, notamment des écrans pour pouvoir pénétrer dans la matière picturale à travers l’imagerie scientifique, et un espace immersif multisensoriel permettant au visiteur de se plonger dans l’univers de l’atelier de Goya.

Informations utiles

· Exposition : Goya, génie d’avant-garde, le maître et son école

· Date : du 8 novembre 2019 au 10 février 2020

· Horaires : ouvert tous les jours de 11h à 19h sauf le 25/12 (du 8 novembre au 10 février) / Nocturne le jeudi jusqu’à 21h

· Commissariat général : Adrien Enfedaque, conservateur du Musée des Beaux-Arts

· Conseillers scientifiques : Juliet Wilson-Bareau, historienne de l’art (Londres), Bruno Mottin, conservateur en chef du patrimoine (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France)

La Goulue, indomptable et obscène

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La Goulue, indomptable et obscène

Delphine Grandsart nous permet de redécouvrir la figure hors norme de la Goulue. Il fallait toute l’énergie et l’humanité d’une grande actrice pour redonner vie à une telle femme !

On connaissait Edie Sedgwick, l’égérie d’Andy Warhol, Gréco la muse de Saint-Germain-des-Près, Anna Karina et Godard, on redécouvre La Goulue qui inspira Lautrec. À l’occasion de l’exposition Toulouse-Lautrec au Grand Palais, et du truculent spectacle « Louise Weber dite la Goulue» présenté au théâtre Essaïon jusqu’au 11 janvier 2019, le public peut savourer l’importance de ce personnage par-delà l’image d’Épinal de la reine du french cancan.

Car Louise Joséphine Weber qui débuta les bals publics à l’âge de 6 ans, en 1872 à l’Élysée Montmartre sous le regard bienveillant de Victor Hugo, incarne bien plus qu’une danseuse de cabaret qui fit émouvoir les vieux aristocrates aux mains blanches. Comme le dit la comédienne Delphine Grandsart qui campe à merveille cette figure hors norme :

« Il y a chez Louise Weber une volonté d’être libre qui résonne aujourd’hui. Ce personnage de la IIIe République est en cela d’une grande modernité. De tous temps cette volonté n’est pas sans conséquence et Louise Weber a d’ailleurs fini ses jours dans la misère la plus totale. Louise Weber revendiquait une forte liberté personnelle et sociale. Elle contestait la loi et les autorités et n’avait pas peur du désordre pour défendre ses idéaux. À travers son parcours, ce sont les femmes que nous célébrons et l’humain en général. J’ai toujours pensé qu’être au cœur de l’humain (partir de l’intime – l’intériorité et l’espace mental d’un personnage…) était peut-être l’acte le plus politique qui soit et si défendre des projets aujourd’hui a un sens pour moi, il réside dans cette volonté de partager avec le public des moments de vie qui donnent à réfléchir sur notre place dans la société. »

La Goulue, au temps de sa gloire au Moulin Rouge

La Goulue, la poésie avec les jambes

Envol et chute, triomphe et déchéance ; gloire et immolation ; agilité et ataxie : à l’instar du destin des figures clownesques qui envahissent les œuvres des artistes à la fin du XIXème siècle, la vie de La Goulue oscille entre ces extrêmes. Celle qui connaît la gloire au Moulin Rouge et inaugure comme première vedette la scène de l’Olympia à la fin du 19ème siècle est l’une des premières stars de l’histoire de la culture populaire. Née le 12 juillet 1866 à Clichy dans un décor digne de Dickens, elle est abandonnée par sa mère à l’âge de 3 ans. Son père amputé des jambes finira par mourir de ses blessures de guerre en 1873. Danser devient vite pour la jeune Louise Weberl’expression d’une soif d’émancipation insatiable. À l’instar de La Fanfarlo de Baudelaire pour qui la danse« est la poésie avec les bras et les jambes », elle ne connaîtra d’autre langage que celui de ses pas, et restera la femme enfant qui ne parlera qu’avec ses jambes.Mais à la différence des mouvements rêvés par le poète des Fleurs du mal permettant à la femme de s’évader de la matière, La Goulue incarne la danse dans la matérialité la plus crue, celle de la chair offerte à tous les péchés. Et, elle s’y complait, s’y roule, s’y vautre avec un plaisir vorace entraînant son public, son semblable. Elle incarne cette femme dont Baudelaire dans Mon cœur mis à nu exècre. Le contraire du dandy !

« La femme a faim et elle veut manger. Soif et elle veut boire. Elle est en rut et elle veut être foutue…La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable…La femme ne sait pas séparer l’âme du corps ? Elle est simpliste comme les animaux. – Un satirique dirait que c’est parce qu’elle n’a qu’un corps. »

Henri de Toulouse-Lautrec, La Goulue Le Moulin Rouge

Mais la Goulue n’a que faire du jugement des hommes ! Elle affirme avec culot sa passion « animale ». Elle se moque de la bienséance, et de l’hypocrisie bourgeoise de cette fin de siècle qui vient s’encanailler dans les cabarets. Celle qui débuta comme blanchisseuse, puis lavandière est devenue également modèle pour les peintres et les photographes, dont l’illustre Renoir ! Seul lui importe de gagner de l’argent en s’introduisant dans le milieu de l’art, là où brillent une tout autre lumière que celle des faubourgs, et des fortifications. Tour à tour, elle participe à une revue au cirque Fernando, puis elle fait la danseuse à l’Élysée-Montmartre, ainsi qu’à la Closerie des Lilas à Montparnasse. Mais c’est au Moulin Rouge qu’elle est lancée dans le cancan et qu’elle devient la reine de cette danse, en taquinant comme personne l’audience masculine, faisant voler les chapeaux des hommes de la pointe de ses pieds, vidant sans vergogne les verres des clients, et apostrophant les puissants. Au Prince Édouard VII venu assister à une représentation du Moulin Rouge, elle n’hésite pas à lancer : « Hé, Galles ! Tu paies l’champagne ! C’est toi qui régales, ou c’est ta mère qui invite ? ».

Toulouse- Lautrec ne s’y trompe pas. Elle devient l’un de ses sujets favoris, qu’il immortalisera dans des portraits et des affiches qui ont fait le tour du monde.

L’écrivain et critique Octave Mirbeau est tout autant fasciné qu’effrayé par une femme aussi libre.

« La Goulue, il faut lui rendre cette justice, est une assez belle grosse fille, épaisse, colorée qui exerce son sacerdoce avec une tranquillité remarquable. Elle plane imperturbable au-dessus de la foule maladive de ses fanatiques. Elle sait ce qu’elle est, ce qu’elle vaut, ce qu’ils valent et, sereine répand autour d’elle l’ordure à pleine bouche quand elle ne mange pas. Quand elle mange, le mot ordurier qui sort alterne avec la bouchée qui entre. C’est cette brutalité radieuse qui est son seul esprit». Delphine Grandsart, interprète La Goulue

On est loin, en effet, des portraits de femmes soumises qui peuplèrent la scène de l’art de ce 19ème siècle finissant. Que l’on songe seulement aux nombres de femmes mal mariées du répertoire de la littérature. Emma Bovary, Thérèse Raquin, Gervaise Macquart, etc. toutes sont à l’image de ses femmes condamnées à vivre leur vie et leur sexualité par procuration. Au regard de ces figures de la soumission, La Goulue a tout d’un anti-modèle obscène et indomptable, à l’instar de ces fauves qu’elle s’en ira dompter à la fin de sa vie. Celle qui se promenait dans les bals avec un bouc en laisse, pour moquer la bienséance qui imposait aux femmes de l’époque d’être accompagnées d’un mâle dans les lieux publics, paiera le prix fort de sa fierté et de tous ses excès.

Lautrec, Le Moulin Rouge, La goulue, 1892

Dans une excellente mise en scène où l’on remonte le fil du temps, on découvre La Goulue abimée par l’alcool finissant sa vie comme elle l’avait commencée dans la misère, entourée d’une cour d’animaux de cirqueainsi qu’une multitude de chiens et de chats, méconnaissable, à vendre des allumettes devant le Moulin-Rouge. Elle se souvient de cet ultime geste d’indépendance, en 1895, alors qu’elle est au faîte de sa gloire, riche et célèbre, où elle décide de quitter le Moulin Rouge et de se mettre à son compte dans des fêtes foraines minables, puis à monter un numéro de dompteuse.

À l’instar de l’œuvre de Toulouse-Lautrec, l’esthétique de cette époque est marquée par une fascination pour ces vies de saltimbanques qui accompagnent les spectacles de cirque et des cabarets. Les danseuses hantent tout autant les peintures de Degas que les écrits de Mallarmé. Les clowns et les écuyères deviennent des motifs de la poésie de Baudelaire et des toiles de Rouault.

Toulouse-Lautrec La clownesque Cha U Kao

La clownesque Cha U Kao, telle que l’immortalise le pinceau de Lautrec, apparaît comme une réplique du vieux saltimbanque de Baudelaire. Comme La Goulue à la fin de sa vie, Cha U Kao semble défaite, au repos, écroulée. Jambes écartées, dans un abandon presque obscène…son visage exprime la lassitude immense.

Le cirque, les danseuses et les cabarets deviennent autant d’objets de fascination qu’ils peuvent se prêter à des lectures réalistes ou symbolistes de la part des artistes de cette époque.

Loin de vouloir transfigurer la danse à l’instar de Mallarmé sous l’alibi d’une signification secrète, Toulouse-Lautrec ne cherche pas à justifier son goût des spectacles nocturnes par la recherche d’une allégorie. Il s’enchante de l’atmosphère des cabarets pour s’enivrer de leur énergie et trouver la matière mouvante de son art. Il n’en fait pas le signifiant dirigé vers une mystérieuse révélation. La danse n’est nullement pour lui le texte mouvant d’un discours silencieux écrit par le corps féminin, à l’instar de l’hystérie pour Freud. Le corps ne s’efface pas dans les peintures de Lautrec pour laisser place à une parole muette dont la signification échapperait au danseur.

La Goulue, l’anti-Dandy

La Goulue constitue au contraire une haine de l’allégorie. Elle n’est que le signifiant obscène et vulgaire qui montre son cul au spectateur ! Elle ne renvoie à aucune interprétation, aucun mystère, et refuse toute assomption. Ce qu’elle montre, c’est sa viande – celle-là même que peignera Bacon ou Picasso, et dont Toulouse-Lautrec fut le premier à trancher dans le vif de ses pinceaux, sans nul souci de rédemption. Les spectacles de french cancan n’ont rien des ballets de Mallarmé, que le poète décrypte comme autant de hiéroglyphes où la danseuse n’est pas une femme, mais une étrange métaphore.

La goulue ne signifie que ce qu’elle est ! Engluée jusqu’à l’os, aliénée à sa chair ; la même que celle de ses sœurs blanchisseuses, lavandières qui se vendent dans la prostitution omniprésente de l’époque ; ou celle de ses frères aliénés à l’usine et envoyés au charnier de la guerre. Chair à canon. La Goulue n’est qu’un corps ! Un athéisme effrayant. Elle n’est que ce qu’elle est, sans nul espoir de rédemption. Elle ne fait que coïncider avec elle-même ; et s’en satisfait. Elle n’a pas honte de son corps ! Elle en jouit, ne cessant de retomber lourdement comme attirée vers le sol, dans ce grand écart qui fait pâmer le public, en s’abandonnant à sa seule présence charnelle. Une nature ! Ce triomphe de la chair culminera d’une certaine manière dans l’esthétique avec Artaud et Bacon, et leur refus de toute signification symbolique du corps, excluant toute interprétation d’un poète-spectateur, laissant la vie à sa présence injustifiable et innocente.

À contrario de Baudelaire qui n’aura cessé d’opposer le dandy à la femme naturelle, Lautrec peint La Goulue et les femmes avec un respect troublant, et indécent. Elles n’ont rien du dandy, de cet homme qui cherche à transcender le donné contingent de l’existence corporelle, par la magie des artifices de la toilette, à laquelle les blanchisseuses sont exclues.

Drame sanglant dans la ménagerie de la Goulue en 1904. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

La haine des bourgeois

La Goulue fait sienne cette condition en ne cherchant aucunement à s’absenter de son corps. Au contraire elle va le montrer, en faire une bête de foire, un monstre qu’elle va exhiber à la bonne société bourgeoise qui l’a condamnée à n’être que ce corps lessivé, prostitué…

La Goulue est avant tout cette existence dépourvue de tout esprit qui se vautre dans sa propre existence animale, et qui le revendique ! C’est un corps qui s’abîme, et s’éprouve aux excès de l’alcool, et du sexe. Un corps qui n’a rien de cette chair idéalisée, invulnérable, masquée des dandys. La Goulue, c’est la femme naturelle, qu’une paire de jambe, que le bourgeois vient contempler comme son propre produit.

La Goulue, c’est la clownesse qui parodie le dandy, en suscitant le rire qui naît à voir un candidat au dandysme resté pris au piège de son corps. La bourgeoisie ne cesse de répéter aux prolétaires qu’ils ne sont que des corps - force de travail, chair à canon ou à prostituer. Qu’à cela tienne ! La Goulue s’en réjouit. Elle ne cherche pas à faire l’ange, elle fait résolument la bête et ira jusqu’à confondre et confronter son existence à celle des fauves indomptables et féroces.

Il fallait toute l’énergie et l’humanité d’une grande actrice comme la comédienne Delphine Grandsart pour redonner vie à un telle femme !

https://www.essaion-theatre.com/spectacle/687_louise-weber-dite-la-goulue.html

L’art de mettre en scène Platon en 3 sets gagnants

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L’art de mettre en scène Platon en 3 sets gagnants

En croisant philosophie théâtre danse et musique, la Cie étrange peine, théâtre donne vie au premier texte philosophique qui questionne les mystères de l’art poétique. Une réussite !

Un dialogue en forme de partie de tennis à couteaux tirés, des percussions, de la danse, le tout enrichi d’extraits de l’Iliade, et de quelques textes canoniques du corpus platonicien, l’équipe de la Cie Étrange Peine réussit le pari d’embarquer le public dans une odyssée philosophique questionnant l’art de l’acteur, sans nous endormir un seul instant. Ce subtil entrelacs de voix nous éveille, en effet, à la richesse du texte de Platon dans la traduction précise et limpide de Monique Canto, à l’image du rhapsode Ion qui sort de sa torpeur à l’écoute des seuls vers d’Homère. Pour cela le metteur en scène Jean Deloche s’est entouré des magnifiques acteurs Etienne Guillot et Émeline Touron, du travail chorégraphique de Jérôme Brabant, de la musique de Morgane Klein, des costumes raffinés de Lucie Cunningham et des subtils éclairages de Sylvie Vautrin. Pour quatre jours de représentations à ne pas rater !

Petit dialogue platonicien, Ion n’en constitue pas moins l’un des jalons incontournables d’une longue série de réflexions sur la parole poétique de la part de Platon.

« À chaque fois, du haut de l’estrade je les vois pleurer, jeter des regards de menace, être avec moi frappés de stupeur en m’entendant.» déclare Ion, ce jeune rhapsode passé maître dans l’art de jouer la poésie d’Homère, et dont Platon dans la pièce éponyme tente d’interroger l’étrange pouvoir qu’il exerce sur son auditoire lorsqu’il déclame l’Odyssée.

« Certes je veux bien t’écouter, mais toutefois pas avant que tu ne m’aies répondu sur ce point... » La partie de tennis entre Socrate et Ion est engagée. Le philosophe ne lâchera plus le pauvre rhapsode…

Mais d’où lui vient cette puissance capable d’émouvoir les spectateurs ?

Etienne Guillot interprète magnifiquement Socrate dans l’art de questionner son interlocuteur

Socrate questionne ce personnage orgueilleux et le pousse à s’interroger sur la nature même de l’art de l’acteur, et dont il n’a peut-être ni la maîtrise, ni la connaissance de son origine. Car il s’agit bien d’une forme de magie qui s’opère lorsque l’aède se met à chanter un poème, semblable à celle produite par le musicien jouant une partition, ou celle suscitée par l’acteur récitant un texte dramaturgique. Ce dont s’étonne Platon est si proche et si loin à la fois que nous semblons oublier ce miracle de l’art qui éclot à chaque fois que nous sommes mis en présence du poème homérique, de la musique de Mozart, du théâtre de Racine, par cette seule présence de l’enchantement de l’art, et dont la manifestation la plus spontanée reste les larmes qui montent aux yeux du spectateur. Ces intenses moments d’émotions qui nous font pleurer ou rire révèlent la profonde humanité des hommes. Bien plus, cette faculté à « être ému », et à pâtir de ce qui les entoure, semble d’autant plus troublante et humaine lorsqu’elle apparait au cours d’une représentation théâtrale. En effet, par le seul pouvoir mimétique, le spectateur s’identifie au drame qu’il voit joué par les acteurs, et il se trouve littéralement possédé.

Mais n’est-ce pas aussi une dangereuse tromperie que d’habituer l’esprit à se lamenter ou à se ravir sur la seule perception d’apparences, de chimères et autres fictions ? Ce mécanisme enchanteur de la poésie n’aura cessé d’interpeller les plus grands philosophes, à l’instar d’Aristote qui l’assimile à l’effet cathartique de l’art et de sa puissance curative sur les passions humaines. Platon restera toujours méfiant, et à la fois envieux à l’égard de ce pouvoir mimétique de la parole poétique, capable de rendre tout autant versatile l’âme de l’acteur que celle du spectateur.

« Lorsque tu déclames en perfection des vers épiques et que tu émeus au plus haut point les spectateurs, soit que tu chantes Ulysse sautant sur le seuil et, une fois qu’il s’est fait connaitre des prétendants, répandant à ses pieds ses flèches ; ou bien Achille s’élançant sur Hector ; ou l’un des endroits qui concernent le pitoyable sort d’Andromaque, d’Hécube ou de Priam, alors as-tu tous tes esprits, ou bien es-tu hors de toi-même ? et ton âme, en laquelle un Dieu réside, ne se croit-elle pas mêlée aux faits dont tu parles, qu’Ithaque en soit le théâtre ou bien Troie, quel que soit le cas que peuvent bien comporter encore les vers que tu déclames ? — Quelle clarté, Socrate, il y a dans l’indice dont tu parles ! C’est sans dissimuler, vois-tu, que je vais te répondre : effectivement, quand je déclame un passage qui émeut la pitié́, mes yeux se remplissent de larmes ; quand c’est l’effroi ou la menace, mes cheveux, de peur, se dressent tout droits, et mon cœur se met à sauter ! » — Mais sais-tu bienque, sur la majorité́ des spectateurs, ce sont aussi ces mêmes effets que vous réalisez ?»

Émeline Touron inspirée dans le rôle du Rhapsode.

À n’en pas douter, l’acteur est dépossédé de lui-même lorsqu’il interprète et il communique sa folie poétique au spectateur. Il n’est qu’un simple intermédiaire entre l’œuvre et le spectateur. Il parle sous la dictée de l’inspiration poétique !

Soumis au redoutable examen socratique, et pressé de questions, Ion ne parvient pas à expliciter la nature exacte de son art et de son savoir sur Homère. Et Socrate a beau jeu de l’enfermer dans ses contradictions :

« car ce n’est pas un art lon qui se trouve en toi et te rend capable de bien parler d’Homère. Non c’est une puissance divine qui te met en mouvement. »

La pierre de magnésie poétique

L’un des plus beaux moments du dialogue platonicien est justement lorsque le monstre de logique qu’est Socrate cède la place à l’homme de lettres qui recourt aux allégories, et à une floraison d’images poétiques...

Socrate explique alors que de la Muse vers le poète, puis du poète vers le rhapsode, circule une force d’aimantation qui inspire le poète, lequel inspire à son tour le rhapsode. La raison pour laquelle Ion n’est pas capable de juger de la valeur de n’importe quel poète, s’impose d’elle-même pour Socrate : c’est que le poète et le rhapsode, de même que les prophètes, ne tirent pas leur talent d’un art ou d’une science, mais d’une inspiration qui leur est communiquée par les dieux.

Le poète reçoit une faveur divine, un lien privilégié qui l’unit à la Muse. Ainsi, l’homme ne devient poète que lorsque son esprit, dépossédé de la raison, laisse place à cette inspiration qui vient du dieu, et cette inspiration a les mêmes caractères que le dieu dont elle provient. L’inspiration poétique est donc pareille à la pierre d’aimant, qui peut attirer un anneau de fer, lequel devient à son tour aimanté et peut attirer un nouvel anneau. C’est aussi la raison pour laquelle les poètes se cantonnent généralement à un seul genre, dithyrambes, panégyriques, épopées, etc.

De même que la pierre de magnésie communique sa force et aux anneaux d’une chaîne de fer, le flux poétique descend du dieu jusqu’à l’auditeur à travers les maillons successifs que sont la muse, le poète et le rhapsode qualifié par Socrate « d’homme divin ». Ion acceptera finalement de se rendre aux arguments du philosophe.

« Nous te conférons, Ion, cette plus grande beauté, quand tu fais la louange d’Homère, non pas comme un homme de l’art, mais un homme divin »

La folie de l’inspiration poétique

L’inspiration est lyrisme, enthousiasme. D’où sa proximité avec la dimension prophétique de l’inspiration divine. Inspirer convient à la fois à l’idée de souffle et à l’idée de possession divine. Et, selon Platon les poètes sont possédés par un souffle divin qui leur permet de créer. Ils sont les agents de Dieu et les médiateurs entre les dieux et les hommes.

Inquiétante Beauté ?

Platon s’étonnait qu’il faille accepter que l’accès à la beauté dépende du délire ou même de la folie. Faut-il être possédé ou semblable à Rimbaud, ce jeune homme égaré d’Une saison en enfer pour faire asseoir la beauté ? Faut-il se faire Voyant par un étrange dérèglement de tous les sens, et devenir semblable à un fou pour vivre poétiquement en ce monde ? L’amant et le poète se hâtent vers la beauté, attirés, aimantés malgré eux « sans souci d’en connaître intellectuellement le principe. Leur folie enfante ou désire une beauté sans raison. »

Mais Platon, en homme sage, prend soin de distinguer entre le mauvais délire des fous et le bon délire que les dieux inspirent. L’inspiration reste en soi suspecte en ce qu’elle avoisine la folie. Elle établit un lien dangereux entre l’ivresse des sens et l’ivresse verbale. Être inspiré, c’est se sentir partir, comme on dit quand on a trop bu ! L’un des dieux tutélaires de l’inspiration est Dionysos, dieu du sexe et de l’alcool.

C’est pourquoi dans la République, Platon finit par proposer un programme d’éradication des poètes de la cité philosophique. Selon le philosophe, les efforts des hommes devraient les conduire à réaliser rationnellement la beauté dans le corps par l’hygiène et la gymnastique, dans l’âme par la vertu, et dans la cité par la justice.

Exit, la poésie trop troublante pour l’homme rivé à sa raison ? Et pourtant, Socrate dans sa prison, attendant l’exécution de la sentence de mort, apprendra l’art des Muses et composera un hymne en l’honneur d’Apollon…

• ACB SCÈNE NATIONALE BAR-LE-DUC - Bar-Le-Duc

ION OU LE PARTAGE DU DIVIN

- Le 26/11/2019 à 20h30 - Le 27/11/2019 à 19h00 - Le 28/11/2019 à 20h30 - Le 29/11/2019 à 20h30

Cie étrange peine, théâtre

mardi 26 nov. 20h30 | mercredi 27 nov. 19h | jeudi 28 nov. 20h30 | vendredi 29 nov. 20h30

séances scolaires mardi, jeudi et vendredi 14h | durée estimée 55 mn

adaptation et mise en scène Jean Deloche / avec Emeline Touron et Etienne Guillot / percussions Morgane Klein / regard chorégraphique Jérôme Brabant / lumières Sylvie Vautrin / crédit image Cécile Marconi

adaptation et mise en scène Jean Deloche / avec Emeline Touron et Etienne Guillot / percussions Morgane Klein / regard chorégraphique Jérôme Brabant / crédit image Cécile Marconi

séances scolaires mardi, jeudi et vendredi 14h | durée estimée 55 mn

Sur la scène du 26 au 29 novembre ! Vos places pour le court central sont à 5 € et dispos en ligne :

https://www.acbscene.com/ion-ou-le-partage-du-divin/


Le théâtre de l’Art Brut

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Le théâtre de l’Art Brut

La VIème biennale de l’Art Brut de Lausanne met en lumière les liens étroits, et parfois insoupçonnés, qui unissent théâtre et Art Brut.

Les vingt-huit auteurs réunis dans cette exposition sont dessinateurs, peintres, sculpteurs, photographes ou plasticiens. Cependant, ils se révèlent également metteurs en scène, comédiens, accessoiristes, marionnettistes, costumiers, voire exercent tous ces talents à la fois. Les œuvres présentées, qui proviennent toutes du fonds de la Collection de l’Art Brut, appartiennent à ces deux univers. Autodidactes et marginaux, les créateurs d’Art Brut ne considèrent pas que leur pratique relève du champ artistique. Mis en marge de la société par l’internement, l’emprisonnement ou la stigmatisation, ils créent à l’écart des normes et des conventions, et de manière solitaire. Pour certains, la production artistique se transforme en une scène dans laquelle ils peuvent se projeter, pares de nouvelles fonctions : demiurge, protagoniste ou narrateur. Dans ce nouvel espace qu’ils se sont créé, ils expérimentent d’autres réalités, temporalités et personnalités. Par leurs mises en scène, ces auteurs d’Art Brut revendiquent une existence et une reconnaissance dont ils ont été privés. Ils se donnent ainsi le droit d’être dans la lumière, d’être un autre, voire tous les autres. A la faveur de cette démarche, certains conçoivent des œuvres qui sont le fruit d’une construction mentale complexe, aux multiples facettes.

Aloïse Corbaz sans titre, entre 1941 et 1951, dessin aux crayons de couleur partiellement aquarellé et à la mine de plomb sur papier, 23 x 33 cm photo : AN – Collection de l’Art Brut, Lausanne

C’est le cas d’Aloïse Corbaz, d’Adolf Wölfli ou de Marguerite Burat- Provins. Tous trois usent de l’écriture pour définir la dramaturgie de leurs cosmogonies fantasmées. Auteurs et metteurs en scène de leur univers, ils en précisent dans des textes, le cadre, les personnages, les caractères, les mouvements, le décor, la lumière et le jeu théâtral.

Les œuvres présentées au cours de cette IVème biennale de l’Art Brut des vingt-huit auteurs sélectionnés sont aussi bien des costumes, sculptures, dessins, peintures, photographies ou découpages.

Helga Sophia Goetze Laveno, vers 1970 Mytho Sophie, entre 1970 et 2007 broderie sur tissue , 87 x 65 x 35 cm photo : AN – Collection de l’Art Brut, Lausanne

Elles décrivent des univers théâtraux, qui peuvent être parfois formels, comme chez Victorien Sardou, mais aussi contextuels, comme dans le cas d’Helga Goetze.

La documentation tirée des fonds d’archives de la Collection de l’Art Brut – films, son et images – offre une dimension supplémentaire aux œuvres choisies et favorise la compréhension du mode de création des travaux exposés. Les auteurs présentés dans cette exposition s’approprient les codes du théâtre dans l’intention de construire un projet dont ils sont les premiers bénéficiaires. Pour cela, certains s’aventurent à l’extérieur, se confrontant à des passants intrigués ou indifférents, et se lancent dans des « performances » intuitives.

Giovanni Battista Podestà wearing his coat, Laveno, circa 1970 archives of the Fabuloserie, Alain Bourbonnais

Giovanni Battista Podestà, Vahan Poladian, Dunya Hirschter ou encore Martial Richoz mêlent espace théâtral et espace public. Ils utilisent leur propre corps comme outil d’expression et se parent de tenues et d’accessoires fabriqués par leurs soins.

Vahan Poladian, sans titre, entre 1966 et 1982 Assemblage de tissu, pastique et carton, 206 x 214 cm photo : AN – Collection de l’Art Brut, Lausanne

Ainsi, l’œuvre de Vahan Poladian relève d’une réinvention personnelle et culturelle : il se constitue des parures et un ensemble d’ustensiles d’apparat – coiffes, lunettes ornées, sceptres, sacs, porte-cigarettes, bijoux divers – avec lesquels il vit quotidiennement. Ses costumes et accessoires sont factices et bricoles avec des éléments simples et modestes pares de dorures et breloques. Ainsi il performe une culture, peut-être celle de l’Arménie, son pays dont il reste traumatisé, ou plutôt une Arménie, un de ses futurs possibles. Il se fait le représentant, le pèlerin, le prophète, le prince de cette Arménie future, de ce pays rêve.

Eijiro Miyama

Cette quatrième édition des biennales permet aussi d’appréhender à nouveau certains auteurs déjà bien connus du public, tels qu’Aloïse Corbaz, Adolf Wölfli ou Eugen Gabritschevsky, à travers une approche inédite. Auteurs et metteurs en scène de leurs univers, ces créateurs définissent le contexte, les personnages, les caractères, les mouvements, le décor, la lumière et le jeu théâtral dans leurs œuvres. De manière plus explicite, leurs dessins ou peintures contiennent salles de théâtre, scène, rideaux, loges ou gradins.

Eugen Gabritschevsky sans titre, 1938 aquarelle et lavis sur papier, 19,2 x 26 cm photo : AN – Collection de l’Art Brut, Lausanne

Si le théâtre est présent dans l’Art Brut par de multiples facettes, comme le montrent les œuvres de cette exposition, la pratique artistique des auteurs d’Art Brut se confond avec leur quotidien. Aloïse Corbaz vit aux côtés des protagonistes imaginaires de ses dessins ; Guy Brunet considère ses figures en carton comme ses propres enfants et ne peut s’imaginer en être séparé ; Morton Bartlett crée une famille fantasmée sous la forme d’un théâtre de marionnettes intime qu’il protège farouchement des intrus.

Commissariat: Pascale Jeanneret, conservatrice à la Collection de l’Art Brut

Berthe Coulon, Foule vert foncé, 1970 huile sur carton, 80 x 105,5 cm photo : AN – Collection de l’Art Brut, Lausanne

4ÈME BIENNALE DE L’ART BRUT: THÉÂTRES - DU 29 NOVEMBRE 2019 AU 26 AVRIL 2020

https://www.artbrut.ch/fr_CH/exposition/4eme-biennale-de-l-art-brut-le-theatre-dans-l-art-brut

Histoires de la folie façon Urbex

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Histoires de la folie façon Urbex

Timea Jankovics, en adepte confirmée de l’urbex, nous emporte dans l’univers même de l’abandon que sont les hôpitaux psychiatriques désaffectés. Elle réussit parfaitement à nous sensibiliser à la fragilité de la vie, la possibilité de l’abandon qui bordent nos sociétés comme un angle mort dont on ne veut rien savoir.

Le musée Henri-Theillou de Clermont dans l’Oise présente l’exposition « Le réveil des oubliés » de l’artiste Timea Jankovics. Cette plasticienne hongroise est spécialisée dans l’étude et la représentation artistique des Asiles psychiatriques du XIXe. Pour cela elle explore depuis plusieurs années les hôpitaux psychiatriques abandonnés de l’Europe dont le nombre ne cesse de croître depuis que les politiques de santé ferment massivement les places en psychiatrie. Elle inscrit pleinement sa pratique artistique dans cette démarche urbaine, l’urbex consistant à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme - immeubles, hôpitaux et autres architectures désaffectées – qui ne cesse de se développer ces dernières années en France, et dans le monde.

Cette fascination pour les lieux abandonnés n’est pas sans évoquer l’ancienne passion romantiques pour les ruines grecques et romaines, sauf que la mélancolie cède le pas ici à une forme de voyeurisme à l’égard de lieux qui furent souvent interdits aux regards, comme c’est le cas pour ces hôpitaux psychiatriques désaffectés. Par ailleurs, ces asiles symbolisent un double lieu de l’abandon, dans la mesure où ils représentent des espaces délaissés où furent enfermés des individus eux-mêmes abandonnés la plupart du temps par leur familles et leurs proches.

Timea Jankovics a pu notamment explorer de nombreux HP fermés en Italie, et plus près de nous, également en France, comme ces lieux abandonnées de l’hôpital de Montfavet où fut interné Camille Claudel.

Timea Jankovics, Montfavet, dans le Vaucluse, l’hôpital psychiatrique où pendant trente ans et jusqu’à sa mort fut internée Camille Claudel

C’est le plus souvent dans ces hôpitaux en partie ou totalement délaissées qu’elle prend ses photographies, tout en réalisant parfois des performances. Des photos mais aussi des installations plastiques, toutes réalisées avec des objets authentiquement récupérés au rebut d’hôpitaux psychiatriques à l’abandon, d’où l’authenticité absolue de ce qui est donné à voir. En termes de performance artistique, Timea Jankovics n’hésite pas à se mettre en scène. C’est chaque fois dans des lieux asilaires abandonnés, totalement ou partiellement, qu’elle se filme. Inspirée par une atmosphère, des réminiscences peut-être infiniment subjectives.

Vue de l’exposition « Le réveil des oubliés » au musée Henri-Theillou de Clermont.

C’est à ce titre que le Musée Henri Theillou a choisi d’exposer une centaine de clichés de Timea Jankovics parmi des milliers réalisés par cette artiste à travers le monde mais aussi et tout récemment, au sein de ce qui fut autrefois l’Asile psychiatrique de Clermont de l’Oise devenu Le Centre Hospitalier Isarien. Le Centre hospitalier de Clermont fut longtemps l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques d’Europe : il a pu compter jusqu’à cinq mille internés. Dans le grenier de l’asile de Clermont, l’artiste a pu découvrir les effets de malades accueillis sur une période d’une centaine d’année à compter de 1887. Les malades étaient complétement dénudés. Leurs vêtements étaient roulés en boule et cousus avec le nom du patient dessus, on a vite appelé ça les « ptits cousus » explique Goty Clin la responsable du musée Theillou.

Timea Jankovics Les « ptits cousus » dans lesquels les malades enroulaient leurs vêtements en boule, avec cousus le nom du patient dessus

Dès le départ, le visiteur va donc découvrir les valises centenaires, les petits paquets, les petits «cousus» contenant vêtements et souvenirs des malades internés qui ont laissé là leur vie, scellée comme à tout jamais dans ces petits ballots désuets. Timea Jankovics a tout de suite perçu le potentiel plastique de ces « ptits cousus », ces ballots de vêtements qui ne sont pas évoquer une installation de Boltanski, un remake de l’arte povera ou l’univers chiffonnier de l’artiste Michel Nedjar. Certain de ces « ptits cousus » se sont parfois ouverts avec le temps, révélant à leur insu, un peu des propriétés, souvent dérisoires, des patients internés. L’artiste n’hésite pas à enfiler ces vêtements au cours de séances photographiques qui tiennent lieu de performances.

Timea Jankovics dans une performance dans des vêtements de malades

Pour l’artiste, sans doute, ses vêtements usagés restent parfois les seules traces qui renvoient à ces sujets doublement absents, puisqu’ils furent pour la plupart mis à l’écart de la vie sociale, abandonnés par leurs familles, jetés là, puis enterrés dans l’anonymat. Il faut s’imaginer : passé la séance du dénuement, c’est l’épreuve du bain obligatoire, du matricule imposé et réducteur. Parmi tous ces anonymes, Séraphine Louis, dite « Séraphine de Senlis », l’un des grands noms de l’art brut français, qui, délirante, passa dans l’asile de Clermont les dix dernières années de sa vie.

Timea Jankovics réussit parfaitement à nous sensibiliser, avec ces petits sacs de vêtements oubliés, à ces vies passées qui furent englouties dans l’anonymat de l’asile. Elle nous donne à penser cette fragilité de la vie, cette possibilité de la folie et de l’abandon qui bordent nos sociétés comme un angle mort dont on ne veut rien savoir.

Camisole

« Il faut faire très vite, explique l’artiste, car un peu partout des chantiers sont en train de faire disparaître ces lieux. » Son exposition, qui mêle documentaire et poésie, ne se veut pas pour autant un réquisitoire. Elle serait plutôt un constat d’impuissance :

« Aujourd’hui, on assiste à une négation de la maladie mentale, l’État n’a plus les moyens de prendre soin de ses “fous”, soignés à coup de neuroleptiques ou livrés à eux-mêmes. On les retrouve partout autour de nous, dans le métro, dans la rue… Le monde entier est devenu un asile à ciel ouvert. »

De fait, le nombre de lits de psychiatrie générale a diminué de 60% entre 1976 et 2016 selon l’Inspection générale des affaires sociales. Et la dictature des chiffres se traduit notamment dans les nombreux slogans des dernières manifestations des personnels de psychiatrie en grève : « Hôpital en sous-France », « Non rentables », « Non à la dictature comptable », « L’humain n’est pas rentable ».L’hôpital psychiatrique semble devenu uniquement un lieu de crise. À l’image de la société ?

https://www.musee-theillou.fr/asiles-à-l-abandon-timea-jankovics/

Pour un art participatif court-circuitant le marché de l’art !

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Pour un art participatif court-circuitant le marché de l’art !

Près de cinquante ans après son action Space Media dans Le Monde (1972) où il invitait les lecteurs à s’exprimer sur un espace blanc réservé dans le quotidien, Fred Forest réactive en 2020 ce projet d’expression libre, plus que jamais d’actualité, avec deux expositions collectives à la clé. À vos créations !

SPACE MEDIA 2020 : un espace libre où chacun peut s’exprimer…

Dans le cadre de son nouveau projet Space Media 2020, Fred Forest organise une exposition collective en janvier prochain dans une galerie parisienne avec une particularité : tout le monde peut y participer, sans distinction. Il suffit pour cela de laisser libre cours à son imagination et d’envoyer sa création sur une feuille blanche A4 par courrier à la galerie[s]mortier avant le 10 janvier 2020. Toutes les œuvres reçues seront retenues et figureront à la galerie du 24 janvier au 8 février 2020.

A travers ce projet, le pionnier de l’art participatif Fred Forest souhaite questionner les codes du marché de l’art le temps d’une exposition à travers un espace d’expression libre et de création ouverte. Et l’artiste ne s’arrête pas là : à l’occasion de sa rétrospective qui aura lieu à la BnF courant 2020, Fred Forest présentera les 10 meilleures œuvres de Space Media 2020, qui seront préalablement sélectionnées par un jury international.

Libre expression, création ouverte, échange disruptif… L’art d’implication et sociologique de Fred Forest pourrait tenir en cette devise. En tout cas, il en est un fervent militant. Spécialiste des installations multimédias, initiateur du mouvement du Net Art, l’artiste conçoit depuis les années 60 des environnements participatifs et interactifs où tous les supports de communication sont exploités. Âgé de 86 ans, Fred Forest continue de faire figure avant-gardiste en réactivant l’un de ses projets phares : Le SPACE MEDIA. Un projet qui remet en question les codes de notre société d’information et ceux du marché de l’Art.

action Space Media dans Le Monde (1972)

2 manières de participer pour 2 expositions collectives SPACE MEDIA...

1- Vous vous munissez d’une feuille A4 comme support pour réaliser votre œuvre et vous l’envoyez postalement avant le 10 janvier 2020 à la galerie[s]mortier 77 rue Amelot, 75011 Paris, accompagnée de sa photocopie qui vous sera renvoyée au titre d’un échange, signée par l’artiste, en mettant une enveloppe timbrée libellée à votre adresse pour le retour. Les documents originaux resteront acquis aux archives Fred Forest. Votre œuvre sera exposée du 24 janvier au 8 février 2020 (vernissage le samedi 25 janvier de 17h à 21 h)

2- Suite à une interview accordée à Jean-Jacques Gay du Magazine ARTENSIONn°158 de novembre-décembre, actuellement en kiosque, une page blanche (p. 54) est réservée au lecteur qui peut la découper ou la photocopier pour y faire figurer sa création. L’œuvre originale et sa photocopie sont à envoyer postalement avant le 10 février 2020 ainsi qu’une enveloppe timbrée à votre adresse à la galerie[s]mortierpour une exposition collective du 11 au 21 mars 2020 (vernissage le mercredi 11 mars de 17h à 21h).

Dans les deux cas, les originaux resteront acquis aux archives Fred Forest.

Quelles œuvres peuvent-être soumises ?

Dessins, collages, mots d’humour ou d’amour, poèmes, photographies, slogans, peintures… Toutes les formes de créations sont attendues ! Seuls les injures et les propos tombant sous le coup de la loi seront écartés.

Les dix meilleures participations des deux expositions collectives, sélectionnées par un jury international, seront présentées lors de l’exposition personnelle de l’artiste Fred Forest, programmée en 2020 à la BnF.

A propos de Fred Forest

Pionnier de l’art vidéo, concepteur de l’art participatif, cofondateur de l’art sociologique, Docteur es ‘Esthétique de la Communication’, acteur de la 1ère vente aux enchères d’une œuvre d’art immatérielle sur Internet, titulaire de la « Chaire des Sciences de l’Information et de la communication » de l’Université de Nice Sophia Antipolis… depuis plus de 50 ans, l’œuvre de Fred Forest interroge les codes, les fonctionnements, les fondements idéologiques, symboliques et esthétiques de notre société de communication et d’information. De Pierre Restany à Edgar Morin, pour ne citer qu’eux, de nombreux penseurs et critiques ont saisi l’importance de sa démarche artistique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Forest

http://www.fredforest.org

Comme un arbre

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Comme un arbre

La Fondation Fernet-Branca présente les œuvres de Juliette Jouannais, peintre et sculpteur, et Jean Luc Tartarin, photographe. Un tout de nature met en avant les relations que peuvent entretenir le dessin et le paysage dans la photographie qui vient interroger la peinture. Un cheminement visuel aussi exigeant que fécond.

La Fondation Fernet-Branca présente un ensemble inédit de Jean Luc Tartarin avec des grandes pièces de couleur des séries Entre(s) 2004- 2016 et Re-prendre, 2017-2019. En contrepoint, un choix de pièces anciennes, épreuves argentiques noir et blanc, extraites d’Arbres 1983- 1988, permettent d’appréhender un processus créatif singulier et constant. Inventer de nouvelles formes et bousculer les protocoles liés à la pratique photographique sont les axes qui animent et motivent les images des séries Entre(s) 2004-2016 et Re-prendre, 2017-2018.

Tout en restant dans l’épaisseur des choses et du temps dont parle justement Régis Durand dans son texte introductif aux images constituant les séries Arbres, et après un temps long passé à l’étude du paysage, dans une écriture très photographique, traversée par la peinture (Grands Paysages 1997-2005), il va s’agir pour le photographe, avec Entre(s), de modifier la mécanique des images et la description objective. En provoquant ce qu’il nomme des accidents et en perturbant le temps de capture nécessaire à absorber le réel, afin de le transformer en une matière malléable. Si la forêt reste indéniablement l’atelier du photographe et son motif premier, faire l’image rentre désormais dans un nouveau processus : il s’agit d’éprouver la plasticité de la photographie et d’explorer les territoires de la picturalité avec les nouveaux outils numériques.

Jean Luc TARTARIN, série ENTRE(S), #82, 180 x 222 x 5.4 cm, 2015 ©JLT

Le bruit numérique et les artefacts des pixels, dont les couleurs, générées sur un mode aléatoire, sont en mutation, créent une matière picturale. Cette picturalité offre à l’artiste de nouvelles potentialités, pour le moins surprenantes, dans le plaisir et la jubilation de faire œuvre.

L’accumulation des couches, qui s’agglomèrent, offrent une épaisseur, une matière propre, jusqu’à la forme voulue, qui affirme ainsi, parfois jusqu’à l’excès, sa puissance esthétique.

Faire l’image, c’est aussi prendre appui et se laisser guider, face à un bloc de sensations, un condensé d’expériences et de mémoire. Savoir l’œuvre là, déjà présente dans son format, sa matière propre, et donner au regardeur à éprouver cette nouvelle perception.

Les photographies de forêts de Jean Luc Tartarin s’inscrivent dans une recherche quasi picturale sur la matière même de l’image. La photographie révèle chez Jean Luc Tartarin sa proximité avec la peinture : comme cette dernière, elle a pour but le projet de révéler mais aussi de recréer le réel. Jean Luc Tartarin poursuit le dialogue que la photographie entretient depuis ses débuts avec la peinture. Pour ce faire, il a choisi un motif propice à l’imaginaire et au traitement pictural : le paysage et plus particulièrement la forêt. Celle-ci devient le support d’expérimentations visant à constamment réinventer l’image pour percer son secret, comme celui des choses, êtres et paysages.

Jean Luc TARTARIN, série ENTRE(S) #92, 180 x 222 x 5,4 cm, 2015 ©JLT

La forêt, les arbres, restent, en effet, le sujet de prédilection de Jean-Luc Tartarin, dans la proximité du territoire d’enfance et aux saisons qui seront toujours préférées, l’automne, l’hiver, pour creuser, sur ce territoire restreint, la question centrale de la profondeur. La forêt reste l’atelier du photographe. D’abord géographique, c’est le même territoire, celui de l’enfance. Le protocole consiste à décider du moment atmosphérique, de l’heure, de la saison. Ensuite, aller, marcher, pour trouver. La forêt devient le motif. « Je suis à l’intérieur de cette qualité d’espace que mon regard et mes sens dessinent, j’attire à moi cet espace, je m’en approprie, et d’un geste de découpe, je fais l’image ».

Comme l’écrivait Eric Corne, Jean-Luc Tartarin a gardé l’inquiétude de l’image. Il sait qu’elle n’est jamais donnée. Qu’on doit sans répit la réinventer ; la photographie avec ses données techniques en est un moyen comme l’huile et les pinceaux pour le peintre, rien de plus. Le mystère est ailleurs, celui de rassembler les membres éparpillés de la présence, de la vie, et d’en rétablir la connexion dans l’image avec son invisibilité. »Dans ses forêts de toujours, à l’atelier, familier de la lumière, des saisons et dans la connaissance intime de son territoire. Provoquer des accidents qui vont modifier la mécanique de la description objective et le temps de capture, pour absorber le réel, le transformer en une matière malléable.Cette épaisseur ressentie, qui a quelque chose à voir avec la picturalité, devient purement photographique par ce geste juste et par l’incrustation sur l’émulsion de cette image pré-visualisée, en maîtrisant l’outil et la chimie photographique.

Jean Luc TARTARIN, série ENTRE(S), #57, 222 x 180 x 5.4 cm, 2013 ©JLT

« Je suis dans l’attente de ces moment très fugitifs, chaque ciel est un moment du monde, qui perd son caractère géographique pour devenir météorologique ; ce moment de la journée se fait moment d’éternité, et devient un bloc de sensations colorées. »

À PROPOS DE JEAN LUC TARTARIN

Jean Luc Tartarin est né à Metz en 1951. Il vit et travaille dans la proche région de Metz. Autodidacte, il est lauréat du Prix Niepce à 20 ans en 1971, en présentant un ensemble d’images en noir et blanc qui surprennent par leur maturité. En 1972 à l’école des Beaux-Arts de Metz, il devient le premier professeur de photographie dans une école d’art en France. Fonction qu’il a occupé jusqu’en 2013.

Jean Luc TARTARIN, série ENTRE(S), #65, 180 x 222 x 5.4 cm, 2013 ©JLT

UN TOUT DE NATUREJuliette Jouannais et Jean Luc Tartarin Exposition du 24 novembre 2019 au 16 février 2020

Fondation Fernet-Branca 2, rue du Ballon 68300 Saint-Louis/Alsace

T +33 3 89 69 10 77

http://fondationfernet-branca.org/exposition/

Léonard de Vinci : ce que créer veut dire

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Léonard de Vinci : ce que créer veut dire

La très belle rétrospective du Louvre met l’accent sur le processus de création du maître Toscan. Dans le même temps, l’essayiste Guillaume Robin publie une correspondance imaginaire entre Léonard et Michel-Ange qui révèle ce que le miracle de la création a de plus humain.

Par Eric Monsinjon

Il y a 500 ans, le 2 mai 1519, disparaissait Léonard de Vinci au Clos-Lucé à Amboise, manoir que François Ier avait mis à sa disposition. Né en 1452, dans la petite ville de Vinci en Toscane (Italie), Léonard a littéralement voué et dévoué sa vie à la création. Son projet fut double : embrasser tous les champs de la connaissance humaine, des arts aux sciences, et réinventer chacun d’eux. Une prouesse sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. La révolution léonardienne est le résultat d’une méthode de création singulière.

EXPOSITION HISTORIQUE

Léonard de Vinci a révolutionné la peinture en l’élevant au rang de science avec un nombre impressionnant de créations : l’introduction du portrait de trois quarts en Italie, la précision anatomique des corps, la composition pyramidale pour les groupes humains, la perspective atmosphérique des lointains, ou encore, le symbolisme hermétique de ses tableaux. Mais, sa plus grande invention demeure le « sfumato », un procédé d’estompage des transitions entre l’ombre et la lumière qui lui permet d’obtenir de subtils modelés. Dans l’art européen, le sfumato occupe une place centrale, à l’instar de la perspective, apte à perfectionner l’art de la représentation. Pour lui, la peinture est une « science divine » qui possède le pouvoir supérieur de recréer le monde créé par Dieu.

Il y a plusieurs bonnes raisons d’aller voir la rétrospective duLouvre qui commémore les 500 ans de la mort du peintre. D’abord, elle présente un ensemble de 180 œuvres, dont onze tableaux sur la vingtaine attribuée au maître. Ensuite, elle propose un itinéraire biographique qui donne à comprendre la genèse de ses œuvres.

Pour cela, les deux commissaires, Vincent Delieuvin et Louis Frank, ont eu l’excellente idée de présenter les imageries scientifiques de plusieurs tableaux à la même échelle que les œuvres originales. Grâce aux toutes dernières techniques de la réflectographie infrarouge, nous sommes invités, en tant que visiteurs, à découvrir les dessins préliminaires cachés sous les couches de peinture. Dans le Baptême du Christ (1468-1478), un tableau de jeunesse réalisé de concert avec son maître Andrea del Verrocchio, la réflectographie a permis de distinguer clairement les parties exécutées par Léonard, facilement repérables sur le corps du Christ et le visage de l’Ange. Transformés en enquêteurs, nous avons alors l’impression émouvante de regarder par-dessus l’épaule de Léonard et d’assister à l’éclosion du « sfumato », et au dépassement de son maître.

Prêtée par le musée de l’Ermitage, la Madone Benois (1480-1482) révèle qu’au cours de son exécution le peintre a rapproché, de manière significative, l’Enfant de sa mère par rapport au dessin d’origine. Détail prémonitoire : la fleur cruciforme, que la Vierge offre à son fils, annonce l’inéluctable Crucifixion. Pour Léonard, l’amour maternel et spirituel de la Vierge pour le Sauveur du monde est la forme la plus haute du véritable amour.

Aux rayons infrarouges, la Belle Ferronnière (1483-1490) livre aussi ses secrets : le dessin préliminaire sous-jacent d’un visage plus large apparaît dans le fond du portrait que le sfumato a considérablement aminci dans la version finale. La célèbre Joconde (1503-1519) laisse deviner ses repentirs au niveau des mains, ainsi que les dernières touches de peinture appliquées sur le panneau par le maître, en 1519, l’année de sa mort. Les imageries infrarouges, en révélant les dessins qui se cachent sous les tableaux, dévoilent un inconscient à l’œuvre qui n’aurait pas déplu à Sigmund Freud, hanté par l’idée de percer le génie de Léonard.

Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau, dite La Sainte Anne. Huile sur peuplier, vers 1503-1519, Musée du Louvre, Paris.

La Sainte Anne (1503-1519), ultime chef-d’œuvre, offre les clés pour appréhender sa genèse. Inscrite dans une composition pyramidale, symbole du divin, le groupe met en scène Saint Anne, la Vierge, l’Enfant Jésus et l’Agneau. L’exposition éclaire, de manière limpide, les étapes de sa réalisation : de la première esquisse aux gribouillis noirs jusqu’au grand carton de Londres. Chaque étude préparatoire enregistre les mouvements des figures qui se métamorphosent, et la composition qui prend forme. L’artiste laisse sa main aller spontanément pour trouver l’ordonnancement parfait des personnages. Les formes s’interpénètrent au moyen d’une technique de dessin inédite qu’il nomme « componimento inculto », composition instinctive, que les surréalistes interprèteront comme une préfiguration de l’écriture automatique.

D’une certaine manière, tout acte de création commence par une immense liberté qui consiste à se déconditionner des conventions. Et là encore, la réflectographie infrarouge révèle un premier état du dessin dans lequel Sainte Anne arrête le bras de Marie qui tente de dissuader Jésus de jouer avec l’Agneau (allégorie de la Passion) ; l’artiste y renonça pour que Marie laisse s’accomplir le destin tragique de son Fils. Ainsi, le cœur de Marie sera brisé, mais jamais pétrifié. En permanence, Léonard recherche la perfection de la représentation et son expression dramatique la plus puissante. Avec la Saint Anne, il est au sommet de son art.

Léonard de Vinci, Draperie Saint-Morys. Figure assise. Détrempe sur toile de lin, vers 1475-1482, Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Paris.

L’exposition parisienne révèle d’autres surprises. On y découvre l’influence des drapés des sculptures de Verrocchio sur le jeune Léonard qui tente d’en reproduire les volumes dans ses sublimes détrempes, notamment dans la Draperie Saint-Morys (1475-1482). Pour Léonard, la peinture est supérieure à la sculpture parce que l’ombre et la lumière sont réalisées par le peintre, alors que la sculpture les reçoit de l’extérieur, comme un don de la nature. Léonard s’empare des forces de la sculpture pour les donner à la peinture.

Sur le plan des matériaux, l’exposition confirme que Léonard employait du verre broyé qu’il mêlait à ses pigments pour obtenir des scintillements dans les parties sombres de ses tableaux. « Le haut degré de grâce est conféré par l’ombre et la lumière », note Léonard dans ses carnets.

Cette exposition, que les commissaires préparent depuis dix ans, a donné lieu à un vaste programme de restauration des tableaux conservés au Louvre : la Saint Anne a ouvert le cycle, entre 2011 et 2012, la Belle Ferronnière en 2015, et le Saint Jean-Baptiste en 2016, œuvres majeures dont il fallait alléger les vernis.

De très beaux prêts comme Le Musicien, La Scapiliata, le dessin de l’Homme de Vitruve, le Saint Jérôme du Vatican complètent le parcours. Dans chaque portrait, Léonard recherche le « mouvement de l’âme ». L’intériorité façonne les visages du sceau de l’esprit. Les sourires énigmatiques des portraits du peintre expriment le sentiment du cœur, tandis que les index levés indiquent le ciel de l’Esprit. Il n’y a qu’à observer le profond recueillement des visiteurs de l’exposition qui s’inclinent devant ses œuvres, pour percevoir la fascination qu’il exerce encore sur notre temps.

Michel-Ange, Pietà (détail). Marbre, vers 1498-1499. Basilique Saint-Pierre du Vatican, Rome. Photographie d’Amendola.

LEONARD ET MICHEL-ANGE

Si l’exposition du Louvre se concentre sur le processus de création et l’exécution technique des œuvres, l’essayiste Guillaume Robin, quant à lui, aborde un aspect complémentaire : la méthode de création de Léonard. Dans son dernier livre Michel-Ange, Léonard de Vinci, correspondance imaginaire, il a eu la merveilleuse idée de confronter Léonard à son grand rival, Michel-Ange Buonarroti (1475-1564). L’auteur a choisi l’échange épistolaire pour se livrer à un exercice périlleux : réconcilier les deux génies par-delà leur opposition légendaire. Pari réussi.

De 1516 à 1519, trois ans de vie inscrits dans l’encre de dix-huit lettres esquissent les portraits de deux hommes qui ont donné forme à un siècle. Sur les coulisses du livre, on notera que tout est rigoureusement vrai : « Le lien entre eux est fictif mais la vie des protagonistes, la pensée, les influences, leur formation et leur relation au monde est bel et bien réel. », précise Guillaume Robin. Pour ce projet, l’auteur a réuni une masse considérable d’informations. Chez Léonard, il est allé puiser dans ses notes et ses traités inachevés, chez Michel-Ange, dans sa correspondance abondante de courriers quotidiens et professionnels, les lettres d’amour adressées à son amant, ou ses réflexions sur l’art et le temps, le corps et la fragilité de l’être.

Léonard est le premier à prendre la plume pour échanger avec Michel-Ange sur le poète Dante. Léonard est alors âgé de 64 ans, Michel-Ange, de seulement 41 ans. Ils abordent ensuite les points de litige entre eux : le débat sur l’emplacement du David de Michel-Ange à Florence, leur rivalité à l’époque de la réalisation des fresques du Palazzo Vecchio, et enfin les railleries de Michel-Ange à l’encontre du Cavallo, la gigantesque sculpture équestre que Léonard n’achèvera jamais.

D’après Léonard de Vinci. Anonyme italien, XVIe siècle, repris par Pierre-Paul Rubens, La Bataille d’Anghiari. Pierre noire, plume et encre brune, pinceau et encre brune, lavis gris, rehauts de blanc et de gris-bleu XVIe-XVIIe siècle. Musée du Louvre, Paris.

Au fil de la correspondance, l’irascible Michel-Ange s’apaise, le charmant Léonard se fait plus sage. Mais ce qui est véritablement réussi dans ce livre, c’est que l’auteur nous fait revivre la vie de ses « Alter Deus » (Dieux vivants), à travers les indispensables anecdotes de vie, mais aussi, les débats intellectuels sur la suprématie de la peinture ou de la sculpture, le rapport à l’Antique, ou la disputatio sur le rapport entre l’imitation et l’imagination en art qui hantait leurs esprits. S’installe alors une complicité qui dépasse les problèmes de personnes. Et là, le livre touche un point fondamental : l’énigme de l’acte de création. Guillaume Robin prête à Léonard les mots suivants : « Mon devoir est, je vous le dis, de prolonger l’acte divin (…) ». Plus martial, Michel-Ange réplique : « nous sommes les guerriers d’une forme de perfection, et qu’en vertu de cet absolu un rapprochement devait avoir lieu ». Le livre explore les recherches des deux génies qui, par certains côtés, se ressemblent étrangement. Une méthode de création se dessine, en trois temps distincts.

Dans un premier temps, Léonard et Michel-Ange développent un rapport spirituel avec l’histoire passée de la peinture et de la sculpture. Ils mettent leurs pas dans ceux des Anciens. L’Antiquité est leur source. Les peintres Zeuxis et Apelle pour Léonard, le sculpteur Praxitèle pour Michel-Ange. A eux deux, ils cristallisent l’esprit de l’Antiquité et de la Renaissance. Dans un second temps, ils font tous les deux leur apprentissage chez un maître, au sein d’un atelier. Verrocchio pour Léonard ; Ghirlandaio et Bertoldo pour Michel-Ange. Suite ininterrompue de la transmission des savoirs. Enfin, dans un troisième temps, instruits par les Anciens et leurs maîtres, Léonard et Michel-Ange s’émancipent progressivement des modèles passés pour en inventer eux-mêmes de nouveaux. C’est dans cette phase que la puissance créatrice du génie peut se révéler et éclater au grand jour. Le miracle de la création est le résultat d’un lent processus d’assimilation de la connaissance passée.

Michel-Ange, Etude pour un Ignudi, Sanguine.

Ces trois temps forment la triade secrète de tout grand créateur. Chaque artiste important intègre les avancés les plus créatrices d’un art, apprend avec un maître, et, enfin, réalise lui-même un saut créateur. Une telle méthode n’est plus toujours mise en exergue de nos jours. Aussi, le mythe romantique de l’artiste génial, sans culture ni références, trouve ici sa limite. Un génie ne créé jamais à partir de rien, mais toujours à partir d’une ligne de connaissance qu’il intègre spirituellement pour ensuite s’en extraire et imposer une nouvelle création au monde. Guillaume Robin a su tirer de cette fréquentation des deux génies un essai plein de lumière, très profond et toujours éclairant sur ce qu’est l’art et sur la manière dont il permet de traverser l’existence.

par Éric Monsinjon

Exposition Léonard de Vinci, Musée du Louvre, Paris, jusqu’au 24 février 2020

https://www.louvre.fr/expositions/leonard-de-vinci

Guillaume Robin, Michel-Ange, Léonard de Vinci, correspondance imaginaire, éd. Ovadia, 188 pages.

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